Macron, un Jupiter devenu Vulcain

Le portrait a été rédigé fin mai 2023, mais il garde toute sa pertinence. Pour ceux qui ne l’auraient pas lu dans le journal Le Temps ou dans le Courrier international, je le propose ici en intégralité. C’est Patrick Nussbaum, ancien directeur de l’information à la RTS, qui l’a rédigé, répondant à un confrère plus admiratif du président français.  

La contribution de mon confrère Alain Campiotti (Le Temps du 09.05.2023) relative au bilan intermédiaire du président Macron, m’incite à tenter d’apporter quelques autres clés d’analyse.

Emmanuel Macron est certes parvenu à « gagner l’autre rive », comme l’écrit Campiotti, gagnant sa deuxième élection présidentielle et arrachant au forceps sa réforme des retraites. Mais n’incarne-t-il pas aujourd’hui davantage l’échec d’une politique qui ambitionnait, par la magie de la disruption et de l’agilité, de remettre la France sur les bons rails ?

Au « président normal », succéda le « président supranormal ». Hubris chevillée au corps, Macron se révèle de surcroît control freak, obnubilé à l’idée de tout gérer. Son besoin compulsif de séduction s’ajoute à la croyance ontologique de faire partie du club des personnalités extraordinaires. Physiquement, c’est plutôt le gendre idéal, lisse, mais mâtiné d’une arrogance sous-jacente, loin, très loin, d’une figure rassurante, rassembleuse, quasi hiératique, que réclament sans se l’avouer les Français.

Macron est un adepte de la pensée magique, c’est-à-dire le pouvoir de provoquer l’accomplissement de ses désirs par sa seule volonté. Ce qui ne l’empêche pas de rechercher en permanence l’onction des puissants, censée, par capillarité, lui restituer puissance et gloire. Ainsi, Macron n’hésite pas, en juillet 2017, à privatiser la tour Eiffel pour dîner majestueusement avec son « grand ami » Donald Trump. Faute de goût. Faute tout court, puisque le thuriféraire du MAGA ne tardera pas à dénigrer son complice d’un soir et Macron aura bien de la peine à convaincre les Français que cette mise en scène avait pour seul but la percée d’une stratégie diplomatique.

Cette inclination à s’afficher avec les puissants, jusqu’à en devenir tactile, confine au pathétique. A la fois recherche de reconnaissance et exhibitoire besoin frénétique d’apparaître, de montrer à la face du monde sa capacité à fraterniser avec les puissants, fussent-ils d’occasion, voire d’opérette. Mais ces démonstrations, ce tutoiement toujours affiché comme une preuve indéniable de complicité factice, n’ont fait que l’éloigner singulièrement des Français. Raison pour laquelle ses communicants s’affairent à organiser, ici et là, des bains de foule dans lesquels le président peine à trouver ses marques, entre une communion forcée et une arrogance voilée.

“Ce n’est plus un coup à droite, un coup à gauche, ce sont des coups dans l’eau”.

Macron est tout sauf un roi fainéant. QI élevé et culture classique, il excelle dans l’art de saisir les problématiques géopolitiques et stratégiques. S’emparer de l’Élysée au nez et à la barbe des grands partis institutionnels relève de l’exceptionnalité. Côté pile, sa vision d’une Europe à la souveraineté renforcée, ses plaidoyers en faveur du multilatéralisme, de même concrètement que sa réforme de la SNCF ou encore sa détermination à réformer un système de retraites devenu ingérable plaident pour un homme d’État éclairé, déterminé, structuré. Mais côté face, c’est foutriquet, comme l’a insolemment baptisé le philosophe Michel Onfray.

Ce n’est plus un coup à droite, un coup à gauche, ce sont des coups dans l’eau.

Sur l’école, son excellent ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, avait réussi à secouer le cocotier. Résultat : exit ! Macron le remplace par Pap Ndiaye. Blanquer avait empoigné le problème réel de la progression de l’islam et même de l’islamo-gauchisme. Le timoré et très absent Pap Ndiaye estime que « ce terme ne désigne aucune réalité dans l’université, c’est plutôt une manière de stigmatiser des courants de recherche ». Sur l’écologie, les fulgurances du président supranormal font long feu : après avoir embrassé les visions du dogmatique et fugace ministre Hulot (notamment la fermeture de Fessenheim), il va renverser la table et affirmer sa croyance et sa confiance dans... le nucléaire ! Il y a quelques jours, il a même surpris son monde en demandant « une pause dans les contraintes environnementales européennes ». Il dénonce la centralisation de la France, mais Paris n’a jamais été aussi puissant. Il pourfend les vols intérieurs de moins de 2 heures 30, mais une récente enquête montre que cette mesure n’a quasiment pas été appliquée etc.

Le souverain Macron n’aime pas la concurrence, les têtes qui dépassent. Lorsque son premier ministre Edouard Philippe atteint des sommets de popularité dans les sondages : exit ! Place au sympathique et débonnaire Castex, puis à la fourmi travailleuse et honnête Borne. Pourquoi pas, sauf qu’à ce rythme, les syndicats ne s’y trompent pas, le seul interlocuteur, c’est Macron. C’est Paris. Les dysfonctionnements de la Ve République sont ainsi renforcés, la décentralisation retoquée. Il n’y a désormais plus aucun intermédiaire entre les acteurs politiques et le roi Soleil. Et le roi est de plus en plus nu.

“Ses adresses à la nation ressemblent à des listes à la Prévert, sans priorités, scandées en mode prêche du dimanche, aux accents punitifs”.

Quand le très florentin Mitterrand sut manœuvrer pour conserver autour de lui une cour d’intellectuels et d’artistes, Macron, lui, snobe ses soutiens, les abandonne ou les ignore. Des beaux esprits de la Fondation Jean-Jaurès aux Gracques, de l’historien Rosanvallon à l’écrivain Erik Orsenna en passant par le très mitterrandien Attali, tous, enthousiastes de la première heure, sont aujourd’hui amers, déçus. Ils se sentent trahis (cf. Marianne, 11-17.05.2023).

Le roi Macron est debout, sur l’autre rive, mais seul. Souverain. Rosanvallon enfonce le clou : « Il y a chez Emmanuel Macron une arrogance nourrie d’ignorance sociale » (Libération, 03.04.2023). Quand Pompidou commandait avec gouaille à ses ministres, prompts à multiplier les lois et règlements tâtillons : « Arrêtez d’emmerder les Français », Macron trébuche en lançant son tristement célèbre : « Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder » (4 janvier 2022).

Jupiter, désormais autoproclamé Vulcain (roi du feu), accentue ainsi sa dissonance cognitive et brouille les cartes. La sincérité de l’énarque sonne faux. Difficile de convaincre. Ses adresses à la nation ressemblent à des listes à la Prévert, sans priorités, scandées en mode prêche du dimanche, aux accents punitifs.

Alors, qui est Emmanuel Macron ? Celui en qui la presse allemande voyait un nouveau Kennedy visionnaire ? Ou celui qui ne cesse de se renier ? Comme sur le dossier de la colonisation, où il affichait, lorsqu’il était ministre, une position modérée : « Il y a eu la torture, mais aussi l’émergence d’un État, de richesses, de classes moyennes. Il y a eu des éléments de civilisation et des éléments de barbarie ». Puis, dans un acte II, en visite à Alger, la modération s’est évaporée, il déclenche une vive polémique en qualifiant la colonisation de « crime contre l’humanité ». Ce n’est plus un coup à droite, un coup à gauche, ce sont des coups dans l’eau. A répétition.

“Signe d’une résilience hors du commun ou alors, d’un syndrome plus gênant, de celui qui profite – envers et contre tout – des feux éblouissants de la rampe”.

Comme du reste, il fut irréaliste de vouloir faire renoncer Vladimir Poutine à envahir l’Ukraine. Mais n’était-ce pas plutôt un coup d’éclat ? Pour briller, exister.

Désormais abonné aux rebuffades, comme lorsqu’il fut écarté de l’alliance AUKUS, nouée par les « trois démocraties maritimes ». Échec aussi de sa tentative de modifier la situation politique au Liban. Impossibilité d’avancer dans le dossier du Sahel. Macron le conquérant est en passe de se muer en gaulois winkelriedien.

Les attaques des Gilets jaunes, les concerts de casseroles ne semblent pas l’atteindre. Signe d’une résilience hors du commun ou alors, d’un syndrome plus gênant, de celui qui profite – envers et contre tout – des feux éblouissants de la rampe.

Virevoltant sur la question de l’immigration, prisonnier d’un quoi qu’il en coûte qui ruine la France (la remontée des taux d’intérêt a fait exploser la charge d’intérêt de 15 milliards de plus, en un an), Macron est au pied du mur.

Et l’inconditionnel de la « start-up nation » semble de plus en plus vouloir s’inspirer de son illustre et rusé prédécesseur Mitterand, lequel a magistralement poussé et instrumentalisé le Front national pour en faire son meilleur ennemi.

Mais à l’heure où Marine Le Pen figure, dans les sondages, en tête de l’élection pour 2027, l’impopularité du président Macron, sa personnalité dissociative, ses permanents changements de posture deviennent réellement préoccupants.

Par Patrick Nussbaum

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