André Crettenand André Crettenand

Vous avez aimé Yalta? Vous n’aimerez pas Yalta 2

Trump et Zelensky sont côte à côte, ou presque. Le président français s’intercale, mêle-tout de talent. Notre-Dame, ressuscitée, a induit des effets inattendus samedi à Paris. Sûr, Victor Hugo aurait écrit une suite. (…)

Trump et Zelensky sont côte à côte, ou presque. Le président français s’intercale, mêle-tout de talent. Notre-Dame, ressuscitée, a induit des effets inattendus samedi à Paris. Sûr, Victor Hugo aurait écrit une suite.

Tout résoudre en 24 heures. Impossible à priori, mais Trump ne déclenchera le compte à rebours que le 20 janvier, au moment de son investiture. En attendant, Paris est une étape où il a pu confier en direct au président ukrainien ses intentions. Il n’y a pas encore de plan annoncé, pas de verdict, pas de condamnation, pas d’espérance, mais ce n’est pas non plus la capitulation de l’Ukraine que le président élu souhaite, il y va du prestige, et de la crédibilité aussi, de l’Amérique Great Again. Poutine est donc averti. Il l’avait pressenti, en félicitant Trump tardivement et mezza voce. Zelensky a pris de vitesse le Russe, mais on sait le leader ukrainien courir le monde vite et beaucoup.

Histoire. Yalta avait redessiné la carte et les territoires. Un partage dont nous jouissions paisiblement sans trop nous préoccuper du sort de nos voisins de l’Est, sauf à s’émouvoir quand les chars soviétiques déboulaient ici ou là. C’était ainsi, et nous n’étions pas les maîtres de leur destin. Les puissances avaient parlé. Notre liberté était sauve, nos voisins sacrifiés.

Il faut rappeler toujours, rappeler l’Histoire, et ses conséquences terribles, alors qu’on évoque le sort de l’Ukraine, et qu’un président américain et un dictateur russe sont appelés à trancher. Staline n’avait respecté aucune promesse et s’était réjoui de la naïveté de ses hôtes, Churchill et Roosevelt. Poutine ne se montrera pas moins sournois. La paix, nécessaire, a aussi un prix à considérer. La réclamer est vertueux, elle n’en est pas moins lourde de conséquences pour les territoires abandonnés à la Russie.

L’Est est bien décidé à prendre son destin en mains, et à compter à nouveau.

L’Europe était absente, elle le sera encore au moment de la négociation. À elle de jouer un rôle ensuite. D’intégrer l’Ukraine dans l’Union, d’en garantir la sécurité, de la reconstruire. Au moment même où l’Europe vit un basculement de ses équilibres internes. Signe de ce glissement des plaques tectoniques, la présidence de l’Union européenne que la Pologne va prendre dès le 1er janvier 2025. Le tournus qui la porte opportunément à la présidence, après l’épisode hongrois contrasté, intervient alors que le couple franco-allemand est en panne. On se lamente volontiers sur le fait que la France et l’Allemagne ne soient pas en mesure d’assurer actuellement le leadership de l’Europe, on ne se réjouit pas assez de voir les pays encore dits de l’Est prendre du poids, lancer des initiatives, imposer leur influence. L’Est est bien décidé à prendre son destin en mains, et à compter à nouveau.

Donald Tusk en est le symbole. Cet ancien président du Conseil européen est à la tête d’un pays qui est sorti de l’expérience populiste alors que d’autres la vivent encore et que d’autres s’y préparent. Le pays a quitté les rangs des élèves punis. Il joue le jeu. Il soigne une constitution abîmée. Le 1er janvier 2025, il préside l’Union. La Pologne se veut une future puissance militaire, investissant massivement dans sa défense. Bientôt, elle sera l’armée la plus puissante d’Europe. Son économie est florissante. Elle a la capacité de fédérer autour d’elle les pays baltes, et d’autres. Cette Europe trop lointaine encore qui joue les Cassandre, alarme, s’arme et fait entendre raison, inquiète.

C’est que l’Est est compliqué. La Chute du Mur nous a installés dans un état euphorique, promettant des lendemains qui chantent, la fin des idéologies, le triomphe de la démocratie. En quelques jours, ce monde idyllique s’est évaporé. Les incursions de l’armée de Poutine en Géorgie et en Moldavie ont été jugées des escarmouches peu dangereuses, limitées, chirurgicales, acceptables. Ces quelques territoires lointains, modestes, devaient satisfaire, voulions nous croire, le dictateur affamé. L’invasion de la Crimée crispait un peu, mais là encore, nous lui trouvions des excuses, propriétaire frustré, historique. Et dans le Donbass, ne parlait-on pas russe, et ne l’avait-il pas tout simplement sauvé des tracasseries de Kiev ? Il a fallu que les tanks arrivent jusque dans la banlieue de Kiev pour que nous soyons pris de doutes, enfin, sur les intentions réelles du dictateur, peu suspect de cachotteries puisqu’il annonce toujours ses intentions. La Realpolitik connaît des moments d’absence..

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André Crettenand André Crettenand

L’âge d’or, vraiment ?

La promesse surgit au petit matin du 6 novembre à Mar-a-Lago. Dans son fief golfeux, Donald Trump qui a déjà tout promis, promet encore plus : un monde de luxe, de calme et de volupté, la richesse, l’âge d’or. J’ai aussitôt pensé au tableau d’Ingres, une assemblée de femmes et d’hommes jeunes et beaux, baignant dans une ambiance éthérée, un peu rêveurs, nus ». Mais, à bien regarder, ils ne semblent pas heureux, je dirais plutôt qu’ils ont l’air hébétés, absents, otages d’un peintre malicieux. (…)

La promesse surgit au petit matin du 6 novembre à Mar-a-Lago. Dans son fief golfeux, Donald Trump qui a déjà tout promis, promet encore plus : un monde de luxe, de calme et de volupté, la richesse, l’âge d’or. J’ai aussitôt pensé au tableau d’Ingres, une assemblée de femmes et d’hommes jeunes et beaux, baignant dans une ambiance éthérée, un peu rêveurs, nus ». Mais, à bien regarder, ils ne semblent pas heureux, je dirais plutôt qu’ils ont l’air hébétés, absents, otages d’un peintre malicieux.

On connaît moins Trump poète. L’élu ce matin-là distribue les riches dividendes de la victoire, anticipant les effets éventuels d’une politique qui n’est pas encore en œuvre. Il ressent l’urgence : répondre aux oubliés de la croissance, au peuple en colère, aux pauvres, car c’est ainsi que Trump analyse immédiatement la victoire. La vie chère aurait plus pesé que la défense des droits des femmes. Les sondages devaient montrer plus tard que les tendances anti-woke, les sentiments machistes et les craintes d’une immigration non-contrôlée avaient joué un rôle tout aussi essentiel.

Kamala Harris n’a pas perdu. C’est Trump qui a gagné. Cela signifie qu’il n’y a pas beaucoup de sens à lister toutes les faiblesses supposées de la candidate démocrate, ou en tous cas que ce n’est pas là que l’on trouvera les raisons du raz-de-marée républicain. Si Harris l’avait emporté, ces faiblesses seraient autant de forces, par la magie du commentaire à chaud. Trump a gagné car il y a une majorité d’Américaines et d’Américains qui lui font confiance, et l’admirent.

« Parce que les anciens partis entendent les inquiétudes trop tard, dit la Neue Zürcher Zeitung, le populisme s'est imposé comme le phénomène national le plus important du début du XXIe siècle. C'est une petite révolution. Trump est le leader d’un monde libre qui menace d'être submergé par ses peurs ». Trump est partout. Trump est en Europe. Simplement, Trump est plus bruyant, plus talentueux, plus grossier.

Un avenir libre, débarrassé de toutes poursuites judiciaires.

Ce qui est remarquable, c’est que nous ne pouvons pas prévoir ce que sera la politique du nouveau président. Abandonnera-t-il Zelensky ou mettra-t-il au pas Poutine ? Va-t-il organiser dans tout le pays une chasse aux immigrés, opérant des descentes dans les cuisines des restaurants, dans les take away, ou dans les champs de Californie ? Videra-t-il les ministères de leurs fonctionnaires ? Va-t-il décréter des taxes contre la Chine au risque de perturber le marché des Tesla dont les Chinois sont friands, au détriment de son nouvel ami Elon Musk ? Voudra-t-il quitter l’OTAN ? Impossible de déduire des propos de campagne ce que sera l’ère Trump. Il n’a pas développé un programme, il a agité des idées, proféré des menaces, insulté ses adversaires, en particulier les juges et les procureurs dont les enquêtes lui déplaisent mais qui vont disparaître comme par enchantement.

Trump a remporté l’élection. Cela change-t-il le fait qu’il n’est pas un homme digne de la fonction ? Devons-nous considérer que nous avons eu tort de juger Kamala Harris plus apte à la fonction ? L’élection le rend légitime, pas innocent ni vertueux. Où et quand un candidat à la fonction suprême peut-il s’amuser que l’on puisse tirer sur les journalistes ou les menacer de viol sans que cela ne porte à conséquences ? En Amérique, aujourd’hui.

C’est peut-être ça l’âge d’or pour Trump. Un avenir libre, débarrassé de toutes poursuites judiciaires. Pour les Américains, un étrange jardin d’Eden où les Adam et Ève n’auraient pas encore croqué la pomme funeste.

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André Crettenand André Crettenand

Trump/Kamala, un roman américain

Ne dit-on pas que pour gagner une élection, il faut être prêt à tuer, verser le sang, terrasser l’adversaire, jouer, ou être, le méchant ? Je suis tombé sur l’analyse d’un columnist du New York Times, David Brooks, qui a eu l’excellente idée d’interroger les scénaristes et les romanciers sur leur vision de la campagne présidentielle.

Ne dit-on pas que pour gagner une élection, il faut être prêt à tuer, verser le sang, terrasser l’adversaire, jouer, ou être, le méchant ? Je suis tombé sur l’analyse d’un columnist du New York Times, David Brooks, qui a eu l’excellente idée d’interroger les scénaristes et les romanciers sur leur vision de la campagne présidentielle et le sort des prétendants. Le Prince de Machiavel n’a-t-il pas inspiré des générations d’autocrates, et 1984 d’Orwell ouvert les yeux, tardivement, sur les dangers de la dictature de la pensée totalitaire ? J’ajouterais volontiers Frankenstein de Mary Shelley dont le monstre pourrait annoncer une IA échappant à ses concepteurs. Et il faudrait citer tous les romans d’anticipation les plus fous qui ont été dépassés, récemment, par la réalité.

Les experts en narratifs sont à l’ouvrage donc. Et ils voient en Donald Trump le héros qui veut terrasser les méchants - les élites de Washington, New York et San Francisco - et réussir un come-back personnel. Un Joker sur le retour, si fascinant. Ils le voient moins comme un monstre malfaisant que comme un conquérant, fou de revanche. A sa manière, il raconte une histoire. En Kamala Harris, ils observent une bonne personne qui a à cœur de devenir une bonne présidente. Beaucoup de qualités, trop peu de défauts. Une ambition douce, généreuse. De Trump, on retient le nom, de Harris, le prénom.

Faire le bien ou vaincre les méchants. C’est le dilemme. Et pour l’instant, l’Amérique hésite. Ce que les sondages les plus fins ne disent pas, et ce que le déluge de millions de dollars ne réussit pas à faire évoluer, ce sont ces narratifs. Trump a beau empiler les bêtises les plus crasses, ses fans ne lui en veulent pas. Il est fort, pas parfait. Il faut ce qu’il faut pour battre l’adversaire. Même, il convainc toujours la moitié des électeurs. Ce qui compte, c’est la victoire du héros, une fois élu, on verra bien.

Harris, elle, est cette ancienne procureure, sévère, qui n’a pas laissé que de bons souvenirs aux Afro-américains de Californie. Mais, rien à faire, elle reste l’éternelle copine sympa, au sourire enjôleur, aux rires ravageurs. Elle tend l’oreille, elle est à l’écoute, on l’aime bien. Elle paraît ainsi, elle est ainsi. Trump est la marque du méchant. Kamala l’amie qui nous veut du bien.

Dans notre monde, le méchant gagne trop souvent. Et peut-être qu’il y a toujours eu des gentils et des méchants dans les élections, mais ce qui a changé, c’est le public. Il est avide d’histoires et de drames. Le dramaturge David Mamet dit que "le drame est quête du héros pour surmonter ce qui l'empêche d'atteindre un objectif précis et impérieux". Le public veut être emporté, il veut vibrer à l’aventure. La conquête de Kamala serait de ce point de vue trop lisse, sans aspérités, sans souffrance aussi. Pas d’oreille blessée.

Les critiques, qui se nourrissent d’épisodes – Netflix encore – attendent la suite.

Il serait simpliste de tout rapporter au narratif. Le coût de la vie, les taxes, l’immigration et l’avortement jouent un grand rôle dans cette élection. Mais il y a ces protagonistes au parcours singulier, un homme qui n’a jamais reconnu sa défaite et fomenté pour renverser le résultat de l’élection, une femme qui a déboulé presque au dernier moment pour suppléer un président affaibli. Leur personnalité, ce qu’ils expriment, ou pas, va compter.

Les critiques, qui se nourrissent d’épisodes – Netflix encore – attendent la suite. Ils ont aimé l’arrivée tonitruante de Kamala Harris dans la série. Ils espèrent un rebondissement, une surprise, un étonnement qui relancerait la candidate et lui permettrait de battre le méchant sur le fil. Sinon, c’est peine perdue, fin de l’histoire. La sienne donc.

Les Américains ont élevé le scénario au niveau d’une discipline universitaire. Ils maîtrisent l’art du drame, l’enseignent, et s’entendent pour imaginer le pire. Déformation professionnelle sans doute. Ont-ils raison ici ?

Beaucoup de scénarii n’ont jamais été publiés.

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André Crettenand André Crettenand

Musk attaks! L’ultime folie

Les petits hommes verts ont du souci à se faire. Les Terriens aussi. Le milliardaire a décidé de conquérir la planète Mars et de la coloniser. On devrait se réjouir que le milliardaire s’intéresse à l’infini et au-delà plutôt qu’au destin de Donald Trump qu’il finance à coup de millions et dont il partage les errements.

Les petits hommes verts ont du souci à se faire. Les Terriens aussi. Le milliardaire a décidé de conquérir la planète Mars et de la coloniser. On devrait se réjouir que le milliardaire s’intéresse à l’infini et au-delà plutôt qu’au destin de Donald Trump qu’il finance à coup de millions et dont il partage les errements.

L’argent ne fait pas le bonheur, et on voit bien que Musk n’est jamais content, toujours irrité, en colère contre le monde, fâché que son fils ait choisi de devenir une fille, tué, dit-il, par le wokisme. La faute à cette Californie trop libérale et si honnie qu’il a décidé de déménager les sièges de ses sociétés SpaceX et X au Texas, cocon conservateur qui le rassure et le protégera des mauvaises influences. De quoi le porter désormais vers les Républicains les plus radicaux et leur gourou. Le techno s’essaie à la politique comme une nouvelle façon d’expérimenter le pouvoir. Une transition de genre en quelque sorte.

Après avoir inventé le paiement en ligne, développé la voiture électrique, dopé l’Internet à haut débit par satellite, racheté Twitter, fumé des joints en direct à la télévision, joué à l’influenceur, envoyé des touristes dans l’espace, et gagné beaucoup d’argent, Elon Musk s’ennuie. Aller embêter nos voisins de planète n’est que l’ultime marotte.

C’est un projet fou, mais l’homme a tant réussi à surprendre le monde que l’on n’est pas aussi sceptiques que nous devrions l’être. Musk fascine et irrite. C’est lui qui fournira les fusées qui conduiront les astronautes sur la Lune et les planètes alentour. C’est encore lui qui se porte au secours des deux naufragés de la station spatiale internationale, que la compagnie Boeing a imprudemment envoyés là-haut et est incapable de ramener sur terre. Mais c’est lui aussi qui diffuse sur son réseau des messages nauséabonds. Un monstre à deux têtes qui s’ébroue et se réjouit des frayeurs qu’il suscite.

“On se passionne pour ce qui est lointain et on dédaigne ce qui est tout près. »

Sa fortune, prodigieuse, lui ouvre toutes les portes et contraint ses interlocuteurs, les politiques notamment, à une réserve prudente. Entrepreneur autrefois adulé, le voilà le plus souvent moqué et haï. Musk a besoin d’un coup d’éclat pour briller à nouveau et balancer à ses détracteurs qu’il est bien le meilleur. Il veut de l’attention, il veut qu’on l’écoute, qu’on l’aime, qu’on l’admire. S’il doit passer par Mars, il le fera. Il y accueillera un jour les humains fuyant une Terre devenue inhospitalière. Il sera le Sauveur de l’humanité. Il sera heureux, enfin.

« C’est une sorte de maladie. On se passionne pour ce qui est lointain et on dédaigne ce qui est tout près », dit l’académicien Érik Orsenna, dépité de voir tant d’énergie dépensée en futilité. Paradoxalement, Bill Gates qui, lui, veut faire le bien pour ses proches, sur Terre, n’est pas plus aimé alors qu’il consacre des milliards à la lutte contre les maladies dans les pays défavorisés ou à la diffusion des vaccins. On le soupçonne de noirs desseins comme d’implanter des puces espionnes dans nos veines. Spleen de milliardaires.

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André Crettenand André Crettenand

Bizarre, vous avez dit bizarre?

Vaut-il mieux être fou que bizarre ? C’est Tim Walz, choisi colistier par Kamala Harris, qui a trouvé le mot juste : « Ils sont weird ces gars-là ». Il était invité au « Morning Joe » sur MSNBC, à parler du couple Trump/Vance, et on s’attendait à la litanie habituelle des qualificatifs désobligeants, mais qui vous viennent naturellement à l’esprit quand on évoque l’histrion et son nouveau compère. (…)

Vaut-il mieux être fou que bizarre ? C’est Tim Walz, choisi colistier par Kamala Harris, qui a trouvé le mot juste : « Ils sont weird ces gars-là ». Il était invité au « Morning Joe » sur MSNBC, à parler du couple Trump/Vance, et on s’attendait à la litanie habituelle des qualificatifs désobligeants, mais qui vous viennent naturellement à l’esprit quand on évoque l’histrion et son nouveau compère.

Non, Tim a dit : « Ils sont bizarres… » Pour le brave professeur, devenu représentant du Minnesota au Congrès, puis gouverneur, dire autant de bêtises n’est pas normal. Quelque chose cloche. Il y a encore en Amérique un bon fonds de raison, pense-t-il, et les élucubrations de Trump, pour ne pas parler du stratosphérique Vance, paraissent en effet étonnantes, décalées, échappant au bon sens du Midwest. Tim Waltz le sympa n’a l’air de rien, mais il a décoché la banderille la plus sanglante et la plus efficace de la campagne présidentielle. Peut-être que la trouvaille a convaincu in fine Kamala Harris qu’il était le compagnon parfait pour gagner en novembre. Subtil, et très méchant.

“Le fou fait peur, le bizarre inquiète”.

« Weird… », le mot fait florès chez les démocrates et résonnent largement sur les réseaux sociaux. Le fou, on connaît, on sait où on va. Et on peut même imaginer pouvoir vivre avec lui. Le fou fait feu de tout bois, il rue, il gueule, il dérange, il fait parler de lui. Mais le bizarre, lui, dit des choses incompréhensibles. On ignore où il veut en venir, il bavarde, il zigzague, il s’égare. Le fou fait peur, le bizarre inquiète. Bref, mieux vaut s’en tenir à distance, ne pas trop le fréquenter. Au besoin, ne pas voter pour lui.

Il est toujours possible de nier le réel, quoi que vous rétorquent amis et adversaires. Cela se nomme la mauvaise foi. Trump n’a jamais redouté la réalité, ni ne s’est embarrassé des faits qui lui donnaient tort. Il a pour lui la vérité dite alternative et s’en accommode très bien, d’autant plus que l’époque en raffole. Il y a toujours un mensonge possible plus gros que l’autre. L’important étant de surfer sur le bruit.

Mais là, on ne parle pas de la vérité, du rapport au réel, mais d’une interrogation, d’un doute qui s’empare de vous, et qui fait que vous ne savez plus qui est le personnage, non pas s’il dit la vérité, mais s’il dit quelque chose de compréhensif, s’il partage encore quelque chose avec le commun des mortels. C’est le grain de sable qui s’immisce dans les neurones et qui vous fait hésiter. Quand on hésite, dit Sartre, la décision est déjà prise.

A choisir, je crois que nous préférons tous risquer de passer pour fou plutôt que bizarre. Pour Trump, c’est trop tard, Tim Walz l’a capté ainsi, et il le restera jusqu’à l’élection en novembre, et au-delà. D’ailleurs, ne fut-il pas un président bizarre ?

“Nous sommes dans la lune de miel et l’extase de la révélation”.

« Coach Walz », comme Kamala le surnomme parce qu’il fut entraîneur de football américain, n’est pas un furieux, loin de là. Un papy normal, affable, heureux et fier de son pays qui voit deux enfants de la classe moyenne briguer la Maison Blanche. Il n’est pas un show man mais il surgit là où on ne l’attend pas. La machine républicaine ne sait pas encore comment aborder et détruire les deux sympathiques. Nous sommes dans la lune de miel, et l’extase de la révélation. Kamala Harris va devoir dire bientôt des choses consistantes sur son programme. Comme dit Tim Walz : « Mieux vaut que nous soyons prêts à offrir quelque chose ». Et la bataille s’engagera vraiment.

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André Crettenand André Crettenand

Kamala, l’entrée en scène

Le vieil homme, désormais c’est lui. Qui se voit encore fringant, plein d’énergie et d’allant, béni des dieux, mais radoteur impénitent, perdant le fil, racontant des histoires à dormir debout, des histoires du passé où il aurait conduit de grandes affaires et résisté aux pires méchants. La star, c’est elle. Femme de l’ombre qui prend soudain la lumière, enfant d’émigrés, venue de l’ouest californien, déroulant un autre récit, surprenant, un destin, tel que l’Amérique les aime. (…)

Le vieil homme, désormais c’est lui. Qui se voit encore fringant, plein d’énergie et d’allant, béni des dieux, mais radoteur impénitent, perdant le fil, racontant des histoires à dormir debout, des histoires du passé où il aurait conduit de grandes affaires et résisté aux pires méchants. La star, c’est elle. Femme de l’ombre qui prend soudain la lumière, enfant d’émigrés, venue de l’ouest californien, déroulant un autre récit, surprenant, un destin, tel que l’Amérique les aime.

En se retirant de la course à la présidence, Joe Biden a fait s’inverser les rôles. Donald Trump a vieilli d’un coup, et il n’est plus le favori absolu. Et Kamala Harris suscite tous les espoirs démocrates. Avec la différence de génération, c’est comme si le passé voulait bloquer l’avenir. On n’écoutait plus guère Trump et son monologue maniaque et bavard, jugeant que l’élection était pliée. Mais on va scruter à nouveau sa démarche, ses propos incohérents, ses citations déroutantes, ses oublis. On regardera Trump, avec ironie, mais on écoutera Kamala, avec curiosité.

L’intérêt énorme que suscite la candidate démocrate se mesure aussi à la panique grandissante de Trump et de ses équipes. Ils prétendent n’en faire qu’une bouchée. Mais ils multiplient les tweets rageurs, les quolibets, les injures comme s’ils n’avaient rien de sérieux à lui reprocher. Ils peinent même à changer de logiciel, focalisés qu’ils sont sur Biden. Kamala Harris serait « Biden 2.0 ». Elle serait comptable du bilan Biden. Elle aurait caché l’état de santé de Biden. Biden, encore Biden. L’obsession.

Mais Joe n’est plus candidat. Il est à parier qu’ils vont bientôt s’en rendre compte, et découvrir qu’elle est d’abord Kamala, et qu’elle est en passe de rallier les femmes, les jeunes, la communauté afro-américaine, les latinos, les abstentionnistes, les indépendants. Et de rattraper ces États qui faisaient mine de donner la victoire aux Républicains. Trump a raison de s’inquiéter. Il cherche encore l’angle d’attaque.

“Les réseaux sociaux bruissent d’excitation comme jamais depuis les débuts d’Obama. “

Un phénomène Kamala, d’autant plus stupéfiant qu’elle a traversé le mandat de vice-présidente dans la discrétion, souvent invisible. Mais jamais transparente. Chaque fois qu’elle est apparue, elle a suscité ce quelque chose d’indéfini qui est un mélange d’intérêt, de sympathie, de bienveillance, d’attention aux autres, qui est une forme d’aura. En tant que personnalité, elle a déjà gagné. Les réseaux sociaux bruissent d’excitation comme jamais depuis les débuts d’Obama.

En quelques heures la discrète Kamala a passé une centaine de coups de fil aux Démocrates pour s’assurer de leur appui, et elle a récolté plus de 100 millions de dollars. Les sondages du New York Times montrent qu’elle fait déjà presque jeu égal avec Trump, lui qui caracolait largement en tête depuis le débat funeste. La victoire n’est plus certaine, la défaite est possible. Il s’ébroue comme un taureau furieux, déjà piqué de banderilles.

“L’Amérique voudra-t-elle s’associer à la soif de revanche de l’ex, ou parier sur la nouvelle, et oser le changement ? “

Mais les Américains ne veulent pas seulement être séduits, ils attendent des réponses concrètes à leurs soucis, notamment en économie. Ils voudront savoir qui est plus à même d’améliorer leur vie quotidienne, et peut-être davantage encore, qui est capable de redonner du lustre à l’Amérique, lui donner le sentiment qu’elle est forte et qu’elle sait où elle va. Traquer le criminel Trump ne suffira pas à la procureure californienne. Il lui faudra dérouler un programme. On ne voit souvent que le trublion et son jeu ébouriffant, oubliant son électorat, soucieux du coût de la vie, inquiet par l’immigration massive du sud.

L’Amérique voudra-t-elle s’associer à la soif de revanche de l’ex, ou parier sur la nouvelle, et oser le changement ? Ce qui est sûr, c’est que Trump a désormais deux adversaires à sa mesure. Kamala la révélation guerrière, et lui-même, tant il est son propre mauvais génie.

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André Crettenand André Crettenand

Le bruit et la fureur

Il injurie le vieil homme, l’accable de remarques désobligeantes, le couvre de quolibets. Il est désagréable, méchant, irrespectueux. Il blesse. Il ment, tout le monde en convient, mais il gonfle le torse, donne des coups de menton, et fait la moue. Il veut redevenir président des États-Unis. Cela plaît. Les téléspectateurs applaudissent. (…)

Il injurie le vieil homme, l’accable de remarques désobligeantes, le couvre de quolibets. Il est désagréable, méchant, irrespectueux. Il blesse. Il ment, tout le monde en convient, mais il gonfle le torse, donne des coups de menton, et fait la moue. Il veut redevenir président des États-Unis. Cela plaît. Les téléspectateurs applaudissent.

Trump a battu Biden. C’est l’avis de beaucoup après le premier débat entre les candidats. Parce que le président avait de la peine à s’exprimer, qu’il avait des trous de mémoire et qu’il a parfois bafouillé. La perversité du système médiatique veut que les choses se passent ainsi, et que le plus habile, le plus violent, gagne des points, et soit récompensé. Dire les choses, avec calme, et Biden les a dites, c’est comme ne rien dire. Le président a un bilan, une économie florissante. Le chômage est jugulé. L’inflation se calme. Trump promet une baisse d’impôts, ce qui compte pour les plus riches, et les plus cyniques. Mais ce soir-là, on ne retient que le bruit et la fureur, les petites phrases, les familiarités. Ce qui fait rire ou jubiler.

Voyant Biden en difficulté, Trump en a rajouté, éructant de plus belle, osant la démesure, franchissant les limites, ne se sentant plus, ne craignant pas d’être plus tard démenti. Mentir est ainsi moins grave que bafouiller. Le public approuve encore.

Ce n’est pas le moindre paradoxe qu’il faille faire déverser tant de haine pour pouvoir prétendre être digne de la fonction suprême, et penser rallier ainsi une majorité d’Américains. L’Amérique a perdu ses repères. Une grande partie de la planète démocrate s’émeut. Les éditorialistes du New York Times invitent le président à se retirer. Les contributeurs prendraient peur. Les caciques paniqueraient. On réfléchirait à une alternative. Et on conclut qu’il n’y en pas vraiment, et qu’il est tard.

La tempête passée, il semble que les démocrates se disent qu’ils ont peut-être sur-réagi. Dans l’exercice du pouvoir, Biden n’est pas seul, il peut compter sur l’une des meilleures équipes réunies à Washington. Il est maître de ses moyens. Il dispose d’une vice-présidente, Kamala Harris, à un battement de cœur de la présidence, et qui n’est pas la politicienne fade que l’on voudrait nous vendre.

Devant cette avalanche de désaveux, il est quelqu’un qui s’en distancie. C’est l’ancien président, Barack Obama. « De mauvaises soirées de débat ça arrive », dit-il, croyez-moi, je le sais. Mais cette élection, c’est bien un choix entre quelqu'un qui s'est battu toute sa vie pour les gens, et quelqu'un qui ne se soucie que de lui-même ». Le brillant et jeune Obama a parfois aussi eu de la peine dans un débat.

“Le débat n’a rien révélé, il a juste grossi les traits.”

Mais peut-être que l’irrespect va faire horreur aux indépendants, aux centrises. Peut-être qu’un réflexe moral va s’imposer - je mesure tout ce qu’un tel sentiment peut sembler optimiste et naïf - mais je veux croire que tout n’est pas perdu. Je ne parle pas des partisans, irréductibles, qui aiment leur matamore, mais ceux qui hésitent, ceux qui, précisément, sont horrifiés par tant d’irrespect, ceux qui voudraient appartenir au cercle de la raison, qui voudraient que ce cercle existe et s’agrandisse, mais qui craignent de ne pas être assez nombreux en novembre prochain. L’élection place les Américains devant un choix étrange, difficile, imposé par les circonstances et par les compétiteurs eux-mêmes, trop imbus pour s’effacer à temps, mais le choix est tel, et il faut désormais se concentrer sur l’enjeu.

Le débat n’a rien révélé. Il a juste grossi les traits. Un président qui a des absences et un homme qui est trop présent. Un vieil homme, faible, bon président, et un homme fort, méchant perdant.

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André Crettenand André Crettenand

La Tour défiée

Des cercueils déposés au pied de la Tour Eiffel, comme l’annonce de l’hécatombe la plus probable, et le deuil promis à ceux qui osent défier le tsar.

Il y a tout cela dans le geste que jouent ces ombres affairées déchargeant des cercueils aux couleurs françaises dans un Paris qui dort encore. Un défi à la France, à son président, aux soutiens de l’Ukraine. (…)

Des cercueils déposés au pied de la Tour Eiffel, comme l’annonce de l’hécatombe la plus probable, et le deuil promis à ceux qui osent défier le tsar.

Il y a tout cela dans le geste que jouent ces ombres affairées déchargeant des cercueils aux couleurs françaises dans un Paris qui dort encore. Un défi à la France, à son président, aux soutiens de l’Ukraine. Et devant cette Tour Eiffel qui célèbre l’audace et la vie, on découvre le choix de ceux qui jouent avec la mort. Incroyable mise en abîme de l’époque, terrifiante, symbolique, et triste aussi.

Les envoyés de Moscou se doutent bien qu’ils ne font pas peur aux futurs soldats qui seraient envoyés en Ukraine, ni que cela va faire changer d’avis le gouvernement, l’actuel s’entend. Et les quelques euros qu’ils ont reçus pour accomplir leur forfait, sous l’œil obligé des caméras de surveillance, montrent bien que l’opération tient du bricolage. Et que l’essentiel n’est pas là, dans la réussite de la dépose, mais bien dans le message qui va être diffusé pendant des heures sur toutes les chaînes : il est risqué de contrer Poutine dans ses plans d’invasion. Et le projet de plusieurs pays européens dont la France d’envoyer des formateurs et des instructeurs sur le territoire ukrainien l’agace, et l’inquiète.

Pour le régime de Moscou, il s’agit d’alimenter les polémiques, de nourrir les divisions, d’apporter des arguments à tous ceux qui craignent l’escalade, au premier rang desquels il faut compter les extrêmes, aussi bien de droite que de gauche. Une inversion curieuse des causes puisque l’escalade a débuté par une invasion et qu’elle est alimentée par le bombardement continu de l’Ukraine. La logique pernicieuse d’une fin d’escalade voudrait que l’on abandonnât l’Ukraine et que nous en tenions là, dans un accord munichois qui ne dirait pas son nom, car il est très moche, et trop annonciateur de lendemains qui déchantent.

“La guerre hybride ne se développe pas que sur internet, à distance.”

Si l’on vous menace d’explosion nucléaire, comme le fait Poutine chaque fois qu’il est contrarié, il y a de quoi s’inquiéter bien sûr. Mais avant l’explosion, c’est la menace qu’il faut estimer. Pourquoi Poutine aurait-il besoin de la bombe pour assujettir les Ukrainiens ? Ou alors, craint-il que la « deuxième armée au monde » n’y parvienne pas ?

La guerre hybride ne se développe pas que sur internet, à distance. Comme s’il y avait besoin de graver dans la réalité, dans le dur, les éléments propres à nourrir la désunion. Mains rouges taguées sur le Mémorial de la Shoah. Étoiles jaunes peintes sur les murs de Paris. Un Russe arrêté près de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle assemblant des explosifs.

La guerre, c’est dans la rue aussi, chez nous. Moscou a lancé une vague d’attentats au Royaume-Uni, en Allemagne, en Pologne. Souvent des incendies monstres dans des entreprises engagées dans l’effort de guerre en faveur de l’Ukraine. Dans la Baltique, ils ont brouillé les signaux GPS. Les Européens ne se considèrent pas en guerre avec la Russie, mais celle-ci en juge autrement. Ce n’est pas la guerre, mais cela y ressemble furieusement.

De tels agissements peuvent difficilement se déployer sur la Place Rouge. Et les tenants de l’ordre le souligneront pour arguer de la supériorité d’un régime capable d’assurer l’ordre, mais c’est le privilège des sociétés ouvertes, libres, de permettre que l’on puisse faire une mauvaise action au milieu de la nuit sans risquer l’exil mortel dans une prison du Grand Nord, où un Navalny téméraire mais courageux a suivi et précédé les contestataires de l’empire.

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André Crettenand André Crettenand

Pologne, l’absolution heureuse

Ubu n’est plus, et la Pologne à nouveau quelque part. En Europe, pleinement, heureusement, revenue de ses dérives, pardonnée, absoute même de ses péchés, ce qui lui ouvre la porte aux milliards européens et la sort de l’infamante liste des démocraties illibérales. (…)

Ubu n’est plus, et la Pologne à nouveau quelque part. En Europe, pleinement, heureusement, revenue de ses dérives, pardonnée, absoute même de ses péchés, ce qui lui ouvre la porte aux milliards européens et la sort de l’infamante liste des démocraties illibérales.

La Commission européenne lève les sanctions qui la frappaient et la réintègre dans la grande famille. C’est que le pays a voté pour l’alternance, changé de gouvernement, misé sur une coalition de partis raisonnables, tous désireux de rétablir l’ordre constitutionnel. La Commission européenne en a pris note. Il n’y a pas que des mauvaises nouvelles sur le continent.

La décision de la Commission n’est ni formelle ni anecdotique. Elle vient récompenser le difficile et patient travail du premier ministre Donald Tusk de remettre le pays sur le droit chemin, de réparer ce que les populistes ont abîmé, de rétablir la liberté des médias publics, l’indépendance de la justice, de lutter contre la corruption qui a gangréné le pays sous l’ère de l’ultranationaliste PiS, le faussement nommé Parti Droit et Justice.

Il était temps. La Pologne s’affirme comme un poids lourd de l’Union européenne, elle est le fer de lance incontournable contre les intentions mauvaises de la Russie. Elle qui jouait les Cassandre, avait vu juste, le reconnait-on aujourd’hui. Et les pays baltes se recroquevillent volontiers autour d’elle alors qu’elle s’apprête à dédier 4% de son PIB aux dépenses militaires, ce qui en fera l’une des armées les plus puissantes en Europe. Un signe qui ne trompe pas : Poutine l’a désignée comme une prochaine cible. Il rêve de la plier à nouveau sous le joug. Les Polonais le redoutent. Ils se préparent. Clairvoyants dès la chute du Mur, ils n’ont pas tergiversé pour rejoindre l’OTAN.

La Pologne se révèle une alliée précieuse dans le soutien aux Ukrainiens, offrant son territoire à l’acheminement des armes et des munitions, accueillant 2 millions de réfugiés.

L’Est n’était pas sur leur radar. Il ne comptait pas. On les sent agacés par cette inclination nouvelle.

On parle trop peu de cet axe oriental de l’Europe qui gagne en poids et en influence. On écoute plus naturellement la France et l’Allemagne, on commente attentivement leur parole, leurs velléités et leurs envies, leurs haut faits et leurs bassesses. Ces deux-là feraient la pluie et le beau temps, croit-on, ils ont construit l’Europe, ils sauraient donc quoi faire. Ce n’est plus tout à fait le cas. La guerre en Ukraine les a longtemps laissés perplexes. Ils ont louvoyé, ils ont pris du temps à comprendre, longtemps ils n’ont pas voulu comprendre. L’Est n’était pas sur leur radar. Il ne comptait pas. On les sent agacés par cette inclination nouvelle.

La Pologne est géographiquement à l’Est de Paris et de Berlin, mais elle est centrale en Europe. Ne parlait-on pas autrefois de Mitteleuropa dont Milan Kundera disait qu’elle est une culture ou un destin ? La boussole indique toujours le Nord. Mais se soucie-t-on des autres points cardinaux ? Nous avons hérité de l’Est et de l’Ouest, comme le moyen le plus simple de décrire le monde d’après-guerre. Le rideau de fer était une borne sévère et indélébile. Nous avons tant de peine à le relever. Il serait temps de dessiner la nouvelle carte de l’Europe.

À la fin du 16e siècle, c’est à Paris que les nobles polonais étaient venus chercher leur nouveau roi, élu par la Diète, en la personne du futur Henri III, conversant naturellement en latin à la cour de France. La Pologne était alors bien de ce monde.

Les vieux réflexes résistent. On entend encore trop souvent le vocable « Europe de l’Est » comme pour souligner le caractère hors sol de cette partie de l’Europe, dont la référence ultime serait encore et toujours le Mur. J’ai entendu un journaliste expliquer que la Pologne était un rempart entre la Russie et l’Europe, comme si la Pologne était une pièce rapportée, comme si elle n’était pas vraiment dans l’Union, mais à sa frontière, mouvante, friable, là-bas, si loin, donc échangeable, comme naguère.

Il est dangereux de mal nommer les choses.

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André Crettenand André Crettenand

Paris, déjà en or

En attendant la joie des athlètes et la fureur des stades, le peuple pleure, renâcle, et rouspète. Rien d’étonnant au pays du gaulois réfractaire. Mais là, l’événement planétaire est une opportunité trop belle pour que les Français le zappe et l’épargne, et les JO deviennent le réceptacle de toutes les colères et de toutes les frustrations, le précipité de ce qui fait la France d’aujourd’hui. La médaille d’or du pessimisme, Paris l’a déjà gagnée…

En attendant la joie des athlètes et la fureur des stades, le peuple pleure, renâcle, et rouspète. Rien d’étonnant au pays du gaulois réfractaire. Mais là, l’événement planétaire est une opportunité trop belle pour que les Français le zappe et l’épargne, et les JO deviennent le réceptacle de toutes les colères et de toutes les frustrations, le précipité de ce qui fait la France d’aujourd’hui. La médaille d’or du pessimisme, Paris l’a déjà gagnée.

Les récriminations s’entendent. Les promesses tonitruantes du dossier de candidature ne sont pas toutes tenues. Surtout, on ne leur a pas demandé leur avis aux Parisiens. Évidemment, puisqu’ailleurs, les peuples consultés ont presque toujours dit non. Il y a longtemps que les raisonnables ont compris que l’événement n’était plus à dimension humaine, et un peu cher.

Et les esprits chagrins se déchaînent. La ville ne sera pas prête, les stades pas finis, annoncent-ils. On prédit la catastrophe dans les transports, une eau de la Seine encore polluée, interdisant les épreuves de natation en eau libre, on fustige la témérité d’organiser la cérémonie d’ouverture sur le fleuve, on dénonce un déficit inévitable, la réquisition des logements étudiants, les failles de sécurité, le prix du logement et des billets de transport, on craint les grèves, la billetterie piratée et des attentats monstrueux.

On conteste le choix de la chanteuse franco-malienne Aya Nakamura pressentie pour chanter Edith Piaf à la cérémonie d’ouverture. On conspue l’affiche officielle qui a gommé ici ou là un drapeau français, ou la croix sur le dôme des Invalides.

Pas de ferveur donc, mais de la polémique, à satiété. En soi, rien de nouveau, mais ce qui frappe ici, c’est l’intensité des critiques. Le climat politique que les extrêmes se plaisent à hystériser pariant sur le chaos pour espérer gagner le pouvoir, joue un rôle. Les usines à troll russes soufflent sur les braises. On sait la France malheureuse et ronchonne, on ne sait pas toujours au juste pourquoi, sauf à l’attribuer à la complexion de l’âme, ce qui est une manière de transmuter en essence rare ce qui relève du mauvais caractère.

“La France n’a jamais été aussi heureuse que lorsqu’elle partait conquérir le monde. Mais le temps de l’empire est passé, il en reste les ors, la nostalgie, et la dette.”

Le pessimisme est une posture, broyer du noir tout un art. La France y excelle. Le mal-être, ça se cultive, ça se crie. C’est une autre manière d’attirer l’attention. Quand le Beau et le Bien ne suffisent plus, il y a toujours le Malheur qui fascine et tient lieu de viatique. « Prendre les choses au tragique, réellement, irrémédiablement, est l’effet le plus difficile qui puisse être demandé aux hommes », a dit autrefois l’écrivain Philippe Muray. La France y parvient très bien. C’est par choix plus que par nécessité que les Français choisissent de se plaindre et de pleurer leur sort.

La France n’a jamais été aussi heureuse que lorsqu’elle partait conquérir le monde. Mais le temps de l’empire est passé, il en reste les ors, la nostalgie, et la dette. La France ne fait plus la loi en Europe. Son roi agace. Paris n’est plus le centre. Aujourd’hui, elle navigue entre vices et vertus, petitesse et grandeur.

Mais Paris veut briller à nouveau. Les fastes et les couleurs, elle sait en jouer en magicienne de l’art et du spectacle, et elle n’y dérogera pas en convoquant le monde du sport au bord de la Seine. C’est là qu’elle excelle. L’idée de faire défiler les sportifs sur des barges le long de la Seine, bardée de monuments et de Notre Dame reconstruite, est tout simplement géniale, ambitieuse, unique.

Paris n’est pas encore une fête, soit. Après, ils seront heureux sans doute, fiers de la réussite de l’exercice. Ils exhiberont leurs médailles, ils pousseront des cocoricos, plus vite, plus haut et plus fort, « citius, altius, fortius ».

Ils seront insupportables. On les préfère encore grognons.

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André Crettenand André Crettenand

Le génie de la bouteille

Il fut un homme d’affaires brillant. Puis, une star de la télévision. Enfin, un héros victime de l’injustice des hommes. Et toujours, un génie. Tel est le récit. Pour 2024, Donald Trump s’est choisi un nouveau costume, plus ample, plus audacieux encore. Plus étonnant aussi. Il est Al Capone, le mafieux de Brooklyn épinglé pour avoir fraudé le fisc. Ce n’est pas moi qui le dit, animé par la seule méchanceté de qui ne partagerait pas ses idées, dénigrant trop grossièrement le candidat qui dérange. Non, il est Al Capone, il le revendique, il le clame, il le cite comme la figure la plus accomplie de la réussite à l’américaine. (…)

Il fut un homme d’affaires brillant. Puis, une star de la télévision. Enfin, un héros victime de l’injustice des hommes. Et toujours, un génie. Tel est le récit. Pour 2024, Donald Trump s’est choisi un nouveau costume, plus ample, plus audacieux encore. Plus étonnant aussi. Il est Al Capone, le mafieux de Brooklyn épinglé pour avoir fraudé le fisc. Ce n’est pas moi qui le dit, animé par la seule méchanceté de qui ne partagerait pas ses idées, dénigrant trop grossièrement le candidat qui dérange. Non, il est Al Capone, il le revendique, il le clame, il le cite comme la figure la plus accomplie de la réussite à l’américaine.

Le New York Times publie un essai brillant sur l’étonnante revendication et l’appétence du candidat à la présidentielle pour le bandit fameux de l’autre siècle. C’est qu’Al Capone, c’était il y a très longtemps, et ce que les Américains en retiennent, c’est le fraudeur du fisc, donc le malin admirable, le self made man qui a réussi dans les « affaires ». Les quelques années de prison qu’il a endurées ne comptent plus, ni ses activités dans le crime organisé. Il ne reste que la légende, celle des polars où policiers et voyous font montre d’autant d’astuce et séduisent tout autant. Le commanditaire d’assassinats est un hors-la-loi téméraire qui défie les élites, un « dur à cuire », dit Trump. Il a tout osé.

Les bas-fonds fascinent car leurs héros transgressent les limites. Les récits enjolivent. Le Joker amuse. Mack the Knife, créé par Bertold Brecht, envoûte. Scarface séduit. Ils étaient tous redoutables, ils sont désormais charmants. Le crime divertit. Le temps les as blanchis en quelque sorte, les a enrobés de romantisme. C’était mieux autrefois.

“Al Capone président. Le méchant pouvant faire le bien de l’Amérique, le gentil juge abîmer la démocratie. Voilà qui témoigne d’une incroyable inversion des valeurs”.

Il y a la légende dorée, Hollywood, l’Opéra de quat’sous, et puis la réalité, pas l’alternative, la vraie, le monde d’aujourd’hui. Trump, poursuivi pour fraude fiscale, inculpé des dizaines de fois, qui se présente en victime du système, comme Al Capone. Leurs sorts seraient comparables. Le New York Times, lui, note les discours du candidat où surgissent souvent les mots « loyauté », « petit service ». Le vocabulaire de la pègre, il connaît. Il y est à l’aise.

Al Capone président. Le méchant pouvant faire le bien de l’Amérique, le gentil juge abîmer la démocratie. Voilà qui témoigne d’une incroyable inversion des valeurs. Le New York Times note : « Comme le montre le cas d’Al Capone, le criminel condamné peut tout autant être une icône américaine que le cow-boy ou le pionnier de la conquête de l’Ouest ».

Trump est fier de sa trouvaille de comparaison. Macky est de retour en ville. « Tu sais que ce requin mord avec ses dents, chérie ? ». Pourquoi ne pas le prendre au mot ? Et juger ses actes. Et le condamner. Le génie des affaires dont les récentes enquêtes des procureurs ont montré qu’il n’était pas si brillant, n’est que le génie de la bouteille, ressurgi, délivré par ignorance et maladresse. Et le malheur va se répandre sur le monde.

J’exagère un peu, bien sûr.

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André Crettenand André Crettenand

La tentation de Yalta

Il fut l’ami à l’écoute bienveillante. Puis, le camarade délaissé dont on n’a plus besoin. Enfin, le va-t-en-guerre, prêt à se bagarrer. Mais le polyamour a des raisons que la raison ignore. Et c’est ainsi qu’Emmanuel Macron ouvre à nouveau son cœur à Vladimir Poutine en disant qu’il pourrait, pourquoi pas, participer au G20 de l’automne, s’il y avait consensus des membres. Le criminel de guerre recherché par tant d’États viendrait s’assoir tranquillement à la table d’honneur comme si rien ne s’était passé.  Il n’est pas facile de décrypter les sentiments, et la politique, du président français, dont on ne sait jamais ce qui l’anime, l’envie de bien faire ou de bien parler. (…)

Il fut l’ami à l’écoute bienveillante. Puis, le camarade délaissé dont on n’a plus besoin. Enfin, le va-t-en-guerre, prêt à se bagarrer. Mais le polyamour a des raisons que la raison ignore. Et c’est ainsi qu’Emmanuel Macron ouvre à nouveau son cœur à Vladimir Poutine en disant qu’il pourrait, pourquoi pas, participer au G20 de l’automne, s’il y avait consensus des membres. Le criminel de guerre recherché par tant d’États viendrait s’assoir tranquillement à la table d’honneur comme si rien ne s’était passé.  Il n’est pas facile de décrypter les sentiments, et la politique, du président français, dont on ne sait jamais ce qui l’anime, l’envie de bien faire ou de bien parler.

La samba, l’accueil festif, la gentillesse des Brésiliens l’auront enfiévré. Il y a aussi ce diable de Lula volubile, personnage romanesque, haut représentant d’un « Sud global » qu’on ne veut pas lâcher comme ça, et que le Français voulait séduire. Ces deux-là ont dansé serrés pendant trois jours. Macron ne voulait pas décevoir son nouvel ami.

Mais peut-être qu’il faut y voir simplement sa propension à vouloir être le leader à tout prix, à se placer toujours au centre du jeu, quitte à adapter le discours. Mais peut-être qu’il révèle aussi l’humeur du temps. L’Amérique qui hésite, bloque. L’Europe qui voudrait, et ne peut. Les opinions publiques compréhensives, mais plus trop. Le mot guerre qui met mal à l’aise. La petite musique d’une paix à tout prix qui prend de l’ampleur. Le vent tournerait-il ? Un opportuniste ne voudrait pas manquer le train.

Je suis frappé de voir que les Ukrainiens sont la plupart du temps absents de l’équation. Qui veut la paix ne peut être décorrélé de qui veut la guerre. Les injonctions que certains adressent aux Ukrainiens de déposer les armes n’ont pas l’équivalent envers le dictateur de Moscou. Retire-t-il ses troupes du territoire ukrainien, et la guerre est finie. La menace du nucléaire expliquerait-elle la prudente retenue ?

« L’apocalypse, ce n’est pas forcément la fin d’un monde, mais la fin de notre capacité à donner un sens au monde. Nous y sommes. »

C’est le deal que beaucoup réclame, sans oser le formuler : abandonner les Ukrainiens en échange de la sécurité de l’Ouest. Retrouver le tracé du Mur, accepter que l’empire écorné puisse renaître, retrouver de la fierté, « ne pas être humilié». La paix serait à ce prix. Au fond, les populations de l’Est ont survécu depuis la guerre, et nous, nous avons bien vécu. La liberté pour les uns, un peu moins pour les autres. Yalta avait décidé du sort du monde. Il est tentant de s’en inspirer. L’Histoire ne se répète pas, mais parfois elle bégaie. Dans une récente interview, l’écrivain Giulano Da Empoli – le « Mage du Kremlin » - cite l’historien Ernesto De Martino : « Il disait que l’apocalypse, ce n’est pas forcément la fin d’un monde, mais la fin de notre capacité à donner un sens au monde. Nous y sommes ».

Il est vrai que nous avons plus en plus de peine à décrypter le monde, à en saisir les ressorts, à interpréter les épisodes. L’horreur d’autrefois, les crimes, les injustices, l’Histoire quoi, devraient nous éclairer d’une conscience augmentée et nous préserver du bégaiement.

Le président français, lui, veut absolument obtenir sa place à la table d’un éventuel nouveau Yalta. Il dira tout, et son contraire, pour obtenir ne serait-ce qu’un strapontin.  

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André Crettenand André Crettenand

Le blanc n’est pas une couleur

L’homme en blanc a surpris ses ouailles. Analysant la situation militaire, de loin, et du haut du piédestal moral où l’Histoire l’a installé, il a décrété que les Ukrainiens avaient perdu la guerre. Qu’il n’y avait aucun sens à vouloir libérer à tout prix les territoires conquis par les Russes. Mieux valait se rendre, accepter le sort des armes, et faire allégeance au vainqueur. Hisser le drapeau blanc. Dans sa tombe, Jean-Paul a dû s’ébrouer, écoutant les propos d’un François peu amène envers cet Est décidément incompris …

L’homme en blanc a surpris ses ouailles. Analysant la situation militaire, de loin, et du haut du piédestal moral où l’Histoire l’a installé, il a décrété que les Ukrainiens avaient perdu la guerre. Qu’il n’y avait aucun sens à vouloir libérer à tout prix les territoires conquis par les Russes. Mieux valait se rendre, accepter le sort des armes, et faire allégeance au vainqueur. Hisser le drapeau blanc. Dans sa tombe, Jean-Paul a dû s’ébrouer, écoutant les propos d’un François peu amène envers cet Est décidément incompris.

Personne n’en voudrait au Pape d’exhorter les belligérants à faire taire les armes. S’il appelait tous à négocier, et en particulier les envahisseurs, on ne saurait le lui reprocher. Il aurait prié Poutine de retirer ses troupes, il aurait été plus cohérent dans sa quête de paix. Mais l’analyse fut courte. S’il est louable de pardonner, donner une prime au méchant tord un peu l’interprétation de la Vulgate.

Les Ukrainiens n’ont pas aimé le prêche. Dans une réponse cinglante, le ministre des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, a renvoyé le saint homme au bilan de ses prédécesseurs bénissant Benito Mussolini, fermant les yeux sur l’émergence du fascisme, timides sur le nazisme. « Quand il s’agit de drapeau blanc, dit-il, nous connaissons la stratégie du Vatican lors de la première partie du XXe siècle. J’appelle à éviter de répéter les erreurs du passé et à soutenir l’Ukraine et son peuple dans son combat pour la vie ». La réplique fut violente, à la hauteur de l’envoi papal.

Aveuglé par cet anti-américanisme propre aux Sud-Américains qui ont subi les vilénies de la CIA, le pape s’est fourvoyé dans son appréciation, au risque de se retrouver du mauvais côté de l’Histoire.  

D’ailleurs, au temps du Mur, on ne se souciait pas trop du sort des populations de l’Est, l’appellation géographique les excluant de fait de la vraie Europe. On vivait sous la règle de Yalta.

Cela dit, la paix en Europe est bien l’enjeu à venir. Doit-elle s’instaurer grâce au retrait peu glorieux des Européens et des Américains, ou grâce à un retour à la raison du dictateur ? Ceci semblant impossible, on se rabat sur cela. En étant prêt, si nécessaire, à sacrifier une partie des Européens, sauf à considérer que les Ukrainiens n’en sont pas. D’ailleurs, au temps du Mur, on ne se souciait pas trop du sort des populations de l’Est, l’appellation géographique les excluant de fait de la vraie Europe. On vivait sous la règle de Yalta. Certains s’y réfèrent encore pour regretter le chaos actuel. Ou se convainquent, avec bonne foi ou folle espérance, que Poutine n’a pas d’intentions belliqueuses plus étendues, et qu’il s’en tiendra à ce qu’il considère comme son pré carré. Encore et toujours Yalta.

On a pourtant appris à écouter Poutine. Faut-il l’entendre quand il évoque ses appétences du côté des pays baltes ? Dans une récente interview, il cite 38 fois la Pologne. Une obsession, ou il faut relire Freud, pour qui un seul mot échappé dit beaucoup. Poutine, lui, grogne Pologne, renifle Pologne, fustige Pologne. Il a envahi l’Ukraine, la bombarde tous les jours, mais c’est déjà l’autre grand pays qu’il a dans le viseur. La Pologne plateforme stratégique des alliés, par où transitent matériels, armes et conseillers militaires. Base arrière de l’OTAN. Il a toutes les raisons d’être contrarié.

Le prêche papal s’élève alors que le temps semble suspendu. Les nouvelles du front ne sont pas bonnes. Le sommet de Munich fut un moment privilégié pour échanger des informations discrètes sur la guerre, et Emmanuel Macron en fut impressionné. Du coup, il choque l’Europe avec des propos ambigus sur l’envoi de troupes au sol. Les Etats-Unis trouvent des queues de budgets en attendant que le leader de la Chambre des représentants, sous la coupe de Trump, daigne soumettre au vote les milliards d’aide à l’Ukraine. L’Europe peine à forger l’unité. L’Allemagne pacifiste a opéré une révolution copernicienne en matière de défense en investissant 100 milliards, mais elle est exaspérée par les prétentions du président français à revendiquer le leadership européen et à vouloir prendre la lumière. Tout le monde attend de voir si Trump, ce diable de la géopolitique, va reprendre l’Amérique.

Couleur papale par excellence, le blanc ne va pas avec tout. L’Infaillible s’est trompé.

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André Crettenand André Crettenand

Esprit, es-tu là ?

L’esprit de Munich. La formule traîne derrière elle les effluves de la compromission, de la dérobade, et de la défaite aussi. Munich, là où, en septembre 1938, la France et l’Angleterre accordent à Hitler le droit d’envahir les Sudètes, en Tchécoslovaquie, croyant obtenir en échange la paix. Et l’on revoit parfois les images historiques de l’INA, filmant le président du Conseil français Édouard Daladier, de retour à l’aéroport du Bourget, acclamé par la foule qui se croit tirée d’affaire. « Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre", selon les propos prêtés à Winston Churchill. Et la guerre fut …

L’esprit de Munich. La formule traîne derrière elle les effluves de la compromission, de la dérobade, et de la défaite aussi. Munich, là où, en septembre 1938, la France et l’Angleterre accordent à Hitler le droit d’envahir les Sudètes, en Tchécoslovaquie, croyant obtenir en échange la paix. Et l’on revoit parfois les images historiques de l’INA, filmant le président du Conseil français Édouard Daladier, de retour à l’aéroport du Bourget, acclamé par la foule qui se croit tirée d’affaire. « Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre», selon les propos prêtés à Winston Churchill. Et la guerre fut.

Munich n’est plus Munich. L’histoire retiendra que c’est là aussi qu’un weekend de février 2024, les alliés ont enfin pris conscience du danger réel que représente Poutine, et que l’Europe devait se préparer sérieusement au retour de la guerre sur l’ensemble du continent, si elle n’est pas capable de stopper le dictateur aux frontières de l’Ukraine. Et par une ruse de l’Histoire, un autre événement a percuté la réunion, et ajouté à la conscience de ce danger nouveau : la mort de l’opposant russe Alexeï Navalny, tué dans une colonie pénitentiaire du Grand Nord arctique.

On était morose. On fut triste. On était inquiet. On le fut plus encore. La guerre, à nouveau.

La Conférence de Munich sur la sécurité existe depuis 1963. Il s’agissait depuis lors de deviser posément des grandes questions de sécurité mondiale, mais ce fut longtemps une rencontre diplomatique aimable, un rendez-vous presque mondain. Le Mur de Berlin était debout, solide, rassurant, il sacrifiait les uns, mais convenait aux autres. Yalta avait dessiné les cartes de géographie. Avec la guerre déclenchée par Poutine, le forum a pris une autre dimension. Le monde est en ébullition. Les crises se multiplient, les alliances se recomposent. Les réprouvés s’organisent et forment un axe du mal qui les réjouit, leur donne de l’allant, de la visibilité, une identité presque.

La prise de conscience est la première étape. L’Europe doit désormais se réarmer. Préparer ses populations à la possible grande épreuve.

L’actualité des dernières semaines a apporté son lot de soucis et de menaces. Donald Trump annonce ne pas vouloir intervenir si un membre de l’OTAN est attaqué. Il encourage même Vladimir Poutine à faire ce qui lui plaît en Europe. Un Poutine qui n’en demande pas tant, et qui accroît la pression en lançant des avis de recherche contre les dirigeants baltes, dont la Première ministre estonienne Kaja Kallas. Les Républicains de la Chambre des représentants, eux, bloquent l’aide à l’Ukraine.

La prise de conscience est une première étape. L’Europe doit désormais se réarmer. Préparer ses populations à la possible grande épreuve. Les propositions fusent. Créer un « Airbus » de l’armement. Augmenter les dépenses militaires à l’exemple de l’Allemagne, de la Pologne et des Pays baltes. Nommer un commissaire européen à la Défense. Voire partager le parapluie nucléaire français. La Suisse, elle n’avait pas envoyé de ministre à Munich. L’agenda ne le lui permettait pas. Dommage pour celle qui rêve d’organiser une conférence pour la paix.

Munich, l’ancien, l’esprit de 38, nous rappelle opportunément que sacrifier des territoires et des populations en échange de la paix n’est qu’un marché de dupes. Abandonner à Poutine les territoires envahis le verrait reprendre son souffle, et envahir ce qui reste à prendre.

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André Crettenand André Crettenand

La belle et la bête

Et si c’était une femme qui allait faire trébucher Donald Trump dans sa course vers la présidence ? Les fans de l’homme agité jugent le danger si réel qu’ils la maudissent déjà, lui inventent des légendes abracadabrantes, la couvrent d’insultes et d’invectives. Elle n’a encore rien dit, ils frémissent déjà. La chanteuse pop est si populaire, si influente qu’elle a les moyens de faire gagner Biden et de terrasser Trump. Un mot d’elle et l’Amérique bascule. Taylor Swift est cette déesse dont on attend l’oracle…

Et si c’était une femme qui allait faire trébucher Donald Trump dans sa course vers la présidence ? Les fans de l’homme agité jugent le danger si réel qu’ils la maudissent déjà, lui inventent des légendes abracadabrantes, la couvrent d’insultes et d’invectives. Elle n’a encore rien dit, ils frémissent déjà. La chanteuse pop est si populaire, si influente qu’elle a les moyens de faire gagner Biden et de terrasser Trump. Un mot d’elle et l’Amérique bascule.

Taylor Swift est cette déesse dont on attend l’oracle. Elle vole de continent en continent sur son jet privé. Elle électrise les foules, gagne un milliard de dollars avec une tournée de concerts, fait bouger le PIB du pays où elle se produit, à en croire les instituts économiques les plus sérieux, elle provoque des vibrations que des sismographes sensibles ont enregistrés ici ou là. Elle collectionne les Grammy Awards, elle vend des millions d’albums. Un phénomène dont nous avons de la peine à prendre l’exacte mesure en Europe qui découvre éberluée la mue de la gentille chanteuse de country en furieuse icône planétaire. Time Magazine en a fait sa personnalité de l’année 2023.

Les ados qui l’adorent ont grandi, un peu, et peuvent désormais voter. Swift la véloce, si bien nommée, les y encourage. Des sondages disent que près de 20% de ses fans, les « Swifties », seraient prêts à voter pour le candidat qu’elle désignera. Et ils sont des millions à la suivre sur ses réseaux sociaux.

Une bête de scène versus une beauté du diable

Le combat est asymétrique. Trump est une bête de scène mais que peut-il contre cette beauté du diable qui répond aux éructations du politicien par des rimes et des rythmes de poétesse ? Quand il fait le méchant, elle joue la délicatesse. Elle a peut-être découvert l’arme fatale à même de désarçonner Trump. Un soft power qui a tout de l’uppercut, venu de nulle part, plaçant la bataille dans une autre dimension qui n’est plus le ring politique d’usage. Ces deux-là ne boxent pas dans la même catégorie. N’est pas le poids lourd celui qui le paraît.

Les « Swifties » seront-ils des électeurs dociles et obéissants ? Difficile de le prévoir. Mais Taylor Swift fait peur. Les partisans de Trump expliquent qu’elle pourrait bien être une créature du Pentagone, un agent provocateur, dont le rôle et le succès dans la chanson serviraient de couverture à une vaste opération décidée à la Maison-Blanche. Un complot, un de plus, que Trump se devrait de déjouer avant novembre prochain.

Taylor Swift pourrait faire la différence, apporter ce petit plus décisif dans une élection annoncée serrée. En tous cas, si elle décide de prescrire un mot d’ordre, il sera démocrate. Taylor Swift a déjà dans le passé pris position pour l’avortement, les droits des femmes, les droits LGBT, soutenu des sénateurs démocrates. Elle ne fait pas mystère de ses convictions. Elle a déjà suggéré à ses fans de s’inscrire sur les listes électorales, provoquant une avalanche d’inscriptions.

Les dieux ont envoyé un signe le weekend dernier. Son petit ami, Travis Kelce, star de football américain, bâti comme un héros de Marvel, a gagné le Super Bowl avec son équipe du Kansas battant l’équipe de San Francisco. La foule a plus scruté la chanteuse que les phases de la rencontre. Et au final, ils ont regardé amourés le baiser au vainqueur. C’est désormais un couple qui marche ensemble vers la renommée. Que feront-ils de cette gloire nouvelle ?

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André Crettenand André Crettenand

Ukraine, le temps suspendu

On ne sait pas exactement ce qui se passe là-bas, sur le terrain. Les cartes aériennes dessinent un front immobile. Les reporters nous rapportent des images et des témoignages précieux mais qui ne peuvent pas nous donner la vision générale du conflit. Le front figé à l’Est induit l’idée qu’il ne se passe plus rien de décisif, et témoignerait, osent certains, de la faiblesse insigne des Ukrainiens. De l’arrêt de l’offensive à la reculade, et à la défaite, il n’y a qu’un pas que trop d’observateurs franchissent allègrement, soudain frémissants, après avoir été furieusement exaltés …

On ne sait pas exactement ce qui se passe là-bas, sur le terrain. Les cartes aériennes dessinent un front immobile. Les reporters nous rapportent des images et des témoignages précieux mais qui ne peuvent pas nous donner la vision générale du conflit. Le front figé à l’Est induit l’idée qu’il ne se passe plus rien de décisif, et témoignerait, osent certains, de la faiblesse insigne des Ukrainiens. De l’arrêt de l’offensive à la reculade, et à la défaite, il n’y a qu’un pas que trop d’observateurs franchissent allègrement, soudain frémissants, après avoir été furieusement exaltés, ajoutant leur pierre au sentiment de déclin de l’Occident, tendance actuelle, et que les usines à trolls de Saint-Pétersbourg et de Moscou essaiment à tout va.

Étrange temps suspendu qui laisse la place à toutes les conjectures puisque la guerre n’offre désormais que peu d’épisodes grandioses. Temps du commentaire, temps bavard. Peu risqué, l’une ou l’autre hypothèse finira bien par se vérifier.

Il faut donc revenir sur la bonne nouvelle venue de Bruxelles, lâchée avec un art consommé du faux suspense. Le roué Viktor Orban allait-il craquer et oser voter en faveur d’une nouvelle aide à l’Ukraine, lui qui cultive une amitié ambiguë avec Poutine ? Eh bien, il ne s’est pas opposé, libérant ainsi 50 milliards d’euros pour les quatre ans à venir. On oublie souvent que l’Union européenne est aussi un enchevêtrement complexe d’intérêts qui permet, in fine, de nouer le compromis, voire de le forcer.

C’est une nouvelle plus importante qu’elle ne paraît. Le budget de l’État ukrainien dépend pour une grande part de l’aide étrangère, et sans elle, l’Ukraine ne pourrait plus assurer les services publics, payer ses fonctionnaires, ses enseignants, ses médecins, les retraites. Elle ferait faillite et serait en mauvaise posture.  

Jean Quatremer, le correspondant à Bruxelles de Libération tenait il y a quelques jours au Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine un plaidoyer rafraîchissant sur cette Europe qui avait su créer un fabuleux espace de paix depuis 70 ans, choisissant d’ouvrir avec l’Ukraine des négociations d’adhésion, perspective impensable il y a peu encore. Jean Quatremer se réjouissait de cette Europe diligente. Il relevait aussi l’incroyable revers de Poutine qui jouxte plus que jamais les frontières de l’OTAN, avec l’adhésion de la Finlande et de la Suède. Juste rappel.

La décision attendue du Congrès américain

Mais on sait qu’il en faudrait plus, beaucoup plus pour que l’Ukraine gagne la guerre. « La seule façon de préserver la stabilité macroéconomique est le soutien des États-Unis », dit Serhiy Marchenko, le ministre des Finances du pays. Et des livraisons d’armes et de munitions. La décision cruciale qui est attendue, c’est celle du Congrès américain : 60 milliards de dollars, aujourd’hui bloqués par les Républicains qu’un Trump, pas encore président, tient sous sa coupe. Il court-circuite tout compromis, veille à ne pas laisser Biden engranger un succès.

Mais Trump se concentre désormais sur les ennemis intérieurs. En Iowa, il a bien noté que les indépendants votaient volontiers pour Niki Haley, et donc contre lui, et qui laisse à penser que le centre pourrait voter plutôt Biden en novembre. Trump en a conçu une rage terrible. Et puis il y a cette pop star planétaire aux millions de fans et de followers qui pourrait appeler à voter Biden. Taylor Swift est désormais le plus grand souci de Trump. Il en oublie un peu l’Ukraine, et c’est tant mieux.

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André Crettenand André Crettenand

Le Diable et le bon Dieu

Il passe pour le Diable. Il s’en amuse d’ailleurs, n’hésitant jamais à nourrir la caricature, à forcer le trait, à tenter la grimace ultime, car il sait que ses partisans en raffolent. Mais l’ange déchu ose un nouveau rôle. Dieu aurait envoyé Trump sur terre pour sauver le pays, révèle-t-il, gravement, dans un clip de campagne …

Il passe pour le Diable. Il s’en amuse d’ailleurs, n’hésitant jamais à nourrir la caricature, à forcer le trait, à tenter la grimace ultime, car il sait que ses partisans en raffolent. Mais l’ange déchu ose un nouveau rôle. Dieu aurait envoyé Trump sur terre pour sauver le pays, révèle-t-il, gravement, dans un clip de campagne.

Ce Jésus qui revient parmi les siens, fait le bonheur des évangéliques américains, pas dupes, mais heureux du miracle. Et si les Etats-Unis doivent être gouvernés par Dieu en personne, le meilleur est à venir. Le paradis sur terre, tout de suite, plus tôt que prévu. Les empereurs romains aussi dénichaient des généalogies qui les autorisaient à se proclamer les descendants d’un dieu ou d’une déesse.

Le Diable est Dieu. Une étonnante inversion des valeurs. Une de plus. Trump n’a pas perdu l’élection de 2020, il n’a pas fraudé le fisc, il n’a pas essayé de renverses les résultats de l’élection. Il n’a jamais tenté d’en soudoyer les responsables. Il n’a jamais incité ses partisans à prendre d’assaut le Capitole. Est-ce vrai ? La vérité n’a aucune importance pour lui. La foi plutôt que les faits.

La révélation faite à Trump prête à rigoler, et nous ne nous en privons pas. Mais l’affaire est autrement sérieuse. Le retour à la Maison-Blanche du Messie coiffé ouvrirait une ère d’incertitude qui pourrait affecter durablement la géopolitique mondiale. Quelques électeurs ici ou là, dans un État hésitant, vont élire un homme dont une grande partie de la planète va essuyer les caprices et les foucades.

Les Européens tremblent. Ils ont fait l’expérience de Trump 1er. Ils connaissent le personnage, sa brutalité, ses dingueries. Il voudrait quitter l’OTAN. Il est volontiers ami avec Poutine, il fait copain avec Kim Jong-un. Il pourrait couper l’aide à l’Ukraine, et laisser l’Europe se débrouiller toute seule. Il hésiterait à s’engager si la Chine attaquait Taïwan. C’est moins la perspective d’une catastrophe annoncée qui fait peur que le début d’une période indécise où le trublion ferait souffler le chaud et le froid, dirait puis se dédirait, maltraiterait ses alliés. Angela Merkel partie, Trump a déjà trouvé un nouveau souffre-douleur en la personne d’Emmanuel Macron, l’imitant grossièrement, le ridiculisant. La France est une alliée, et alors ?

“Dictateur un jour, dictateur toujours”

C’est cette fureur qu’il entretient dans les salles de tribunal et sur les estrades de campagne qui séduit une Amérique déboussolée, sensible aux fake news, prête à jouer l’aventure. Le bon bilan économique de Biden n’imprime pas. L’élection se joue ailleurs, du côté de la rage et des ressentis. Beaucoup se décideront pour le moins détestable.

Fort de sa première expérience présidentielle où il a dû malgré tout composer avec l’administration et les états-majors, Trump annonce vouloir cette fois-ci frapper fort tout de suite. Faire ce qu’il veut, braver les interdits, stupéfier le monde. Il annonce qu’il sera un dictateur le premier jour. On peut craindre les initiatives les plus délirantes. Dictateur un jour, dictateur toujours.

Trump commencera par se sauver lui-même. Il veut éteindre les procédures judiciaires qui le concernent. Il menace juges et adversaires de représailles. Il ne se présente pas pour sauver l’Amérique, il revient pour une revanche personnelle.

Ce dieu-là est un dieu vengeur.

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André Crettenand André Crettenand

IA, la force obscure

Le géant rapiécé, cabossé, mais vivace, traverse la plaine de Plainpalais à Genève, grimpe sur le Salève, court le monde, tue et détruit. La créature du Dr Frankenstein a échappé à son créateur. L’intelligence artificielle est un peu notre Frankenstein à nous, s’aventurant sur des terres inconnues, suscitant l’effroi tant sa puissance semble démesurée …

Le géant rapiécé, cabossé, mais vivace, traverse la plaine de Plainpalais à Genève, grimpe sur le Salève, court le monde, tue et détruit. La créature du Dr Frankenstein a échappé à son créateur. L’intelligence artificielle est un peu notre Frankenstein à nous, s’aventurant sur des terres inconnues, suscitant l’effroi tant sa puissance semble démesurée.

Avec l’IA, il y a un peu de ça : le sentiment que nous avons créé un monstre, et que nous ne sommes pas certains de pouvoir le contrôler. Alors, on se rassure. On titille la bête. On joue avec. On lui demande un coup de main pour écrire un texte, aligner quelques lignes de codes, générer une image ou un design. On s’amuse. On se réjouit de ses performances. On se dit que jamais l’intelligence humaine n’aura été capable de créer une machine qui nous ressemble tant. Un miroir qui nous flatte.

Mais l’IA dont ChatGPT est l’emblème populaire n’est plus vraiment un jeu. L’IA va entrer dans les entreprises. Les experts pensent que près de la moitié des emplois seront impactés. La révolution sera comparable à l’arrivée de l’internet. Les créatifs ont été les premiers à s’émouvoir, comme les scénaristes à Hollywood. Les sources de la machine se chiffrent déjà en milliards de données et la progression est exponentielle. Sa capacité à combiner toutes ces données, et à créer, est infinie. ChatGPT s’apprête à gérer la complexité du monde. Ceux qui ont accès à la version 4.0 qu’il ne se trompe plus guère, au désespoir de ceux qui traquent ses faiblesses afin de prouver la supériorité de l’humain.

“Quand San Francisco s’allume, Bruxelles fulmine.”

La Silicon Valley s’est lancée furieusement dans cette nouvelle conquête technologique. En Europe, une bonne start up - il y en a ici ou là - réussit à lever quelques dizaines, ou centaines de millions, pas davantage. Aux Etats-Unis, OpenAI est déjà évaluée à 100 milliards de dollars. Et les investissements pleuvent, ils sont énormes. L’avance de la Silicon est abyssale.

Quand San Francisco s’allume, Bruxelles fulmine. Il est nécessaire de réfléchir bien sûr, de réglementer, de définir des limites, de contraindre les entreprises à signaler le « made in IA ». Mais le partage des taches n’est pas glorieux. Ici les juristes tâtillons, là-bas les ingénieurs habiles. Au final, les Américains vont à nouveau dicter les règles du jeu. « Code is law»

Nous nous méfions à bon droit de ceux qui assurent pouvoir maîtriser le monstre. Nous nous voulons les gardiens de l’éthique. Nous plaidons pour le progrès pas à pas, plutôt que pour le profit tout de suite. La morale plutôt que la loi du capital. Le bien contre le mal. Cette façon de voir le problème est vertueuse. Mais elle nous laisse insatisfait. N’est-ce pas ceux qui conduisent le développement qui sont les plus à même de subjuguer la machine ? Or, nous avons laissé le leadership technologique aux Américains. Les géants de la Silicon innovent, acceptant plus ou moins les contraintes européennes, mais ce sont bien eux qui révolutionnent nos vies.

Je me surprends à citer le roman de Mary Shelley chaque fois que j’évoque l’intelligence artificielle. Me voilà donc, moi aussi, du côté de la peur, de la force obscure plutôt que de l’espoir et des lumières. Il est temps de changer de registre. Une bonne résolution pour 2024.

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André Crettenand André Crettenand

Le dieu absent

Il avait dit qu’il serait Jupiter, observant de haut l’agitation des hommes, et qu’il se poserait là comme une instance morale suprême, plus à même de juger nos faits d’arme, et nos péchés. Depuis, il ne cesse de descendre sur terre et d’apparaître partout où le vent de l’actualité le pousse. Mais dimanche, le président n’était pas là. Les Français, oui …

Il avait dit qu’il serait Jupiter, observant de haut l’agitation des hommes, et qu’il se poserait là comme une instance morale suprême, plus à même de juger nos faits d’arme, et nos péchés. Depuis, il ne cesse de descendre sur terre et d’apparaître partout où le vent de l’actualité le pousse. Mais dimanche, le président n’était pas là. Les Français, oui.

Jupiter soudain à nouveau céleste, scotché à son trône, il est probable qu’Emmanuel Macron a dû regretter de n’avoir pas osé rejoindre la foule en voyant que le public était bien au rendez-vous. Une apparition aurait provoqué un effet waouh, comme Mitterrand su le générer en participant à la manifestation contre l’antisémitisme, en 1990, après les profanations du cimetière de Carpentras.

La marche fut réussie, et l’absence du président n’y a rien changé. Mais elle interroge, et signifie. Le président a eu peur. Peur de déplaire à ceux qui ne voulaient pas voir dans la marche la seule expression de la lutte contre l’antisémitisme, mais une forme de soutien inconditionnel à Israël. Peur de la polémique, peur de déplaire aux quartiers, peur d’un rassemblement peu rassembleur. La peur, c’est tout ce que les organisateurs voulaient combattre, dénoncer, en faisant nombre. Il est des fois où le dieu devrait descendre sur terre, parmi les hommes.

La lettre ouverte publiée le jour même dans le journal le Parisien pour soutenir la marche est parue comme la peur ultime de ne pas être compris. Habiter l’Élysée ne vous exempte pas de tout. En s’abstenant, Emmanuel Macron ajoute à la confusion. Celle que Jean-Luc Mélenchon a su nourrir, en mélangeant antisémitisme et soutien à Israël pour des raisons qui nous échappent, sauf à considérer qu’elles sont électoralistes, mais cela fait mal d’y penser. La défense des valeurs fondamentales ne souffre d’aucun calcul politique.

Le dimanche 11 janvier 2015, ils étaient des millions dans la rue. La marche pour la République après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher n’avait souffert d’aucune polémique. Le président François Hollande était présent. Des dizaines de chefs d’État avaient fait le déplacement.

“Un rendez-vous manqué, et une faute politique”

Le passé, déjà. Tout a changé. Le 7 octobre, rien de tout cela. L’attentat n’est pas perçu dans la même intensité alors qu’une quarantaine de Français ont été tués. La marche enfin organisée, elle suscite aussitôt la polémique. Pas comme cela, pas ici, pas avec elle, pas avec eux. Pas au même endroit. Les républicains, pas les autres. Les frontières ne tombent pas. La gauche qui devait être en pointe se tortille. Mélenchon torpille.

Serge Klarsfeld, la plus haute autorité morale, l’homme qui a pourchassé les nazis avec sa femme Beate dit qu’il n’y a pas d’exclusion à décréter lorsqu’il s’agit de combattre l’antisémitisme.

Un rendez-vous manqué, et une faute politique. Macron doit en avoir pris conscience, car il ne cesse d’y revenir chaque jour, distillant à chaque fois une explication de plus. De passage en Suisse, il dit que son « rôle n’est pas de marcher, mais de travailler à la libération de nos otages et de continuer à préserver l’unité de notre pays. » Pourquoi lutter contre l’antisémitisme mettrait-il en danger l’unité du pays ? Qui ne veut pas manifester trouvera toujours une mauvaise raison. Macron n’a pas voulu marcher, mais il parle, beaucoup. Le dieu n’a jamais tort.

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André Crettenand André Crettenand

“Oui, mais …”, l’hésitation coupable

Le « mais… » s’est insinué si vite. Partout. Il a couru les réseaux sociaux, les tribunes, les lettres ouvertes, les plateaux de télévision et de radio, let même les appels les plus nobles. Il sidère.

Les mots ont un poids. Et ce n’est pas parce que le « mais » est tout petit, pose une réserve à peine esquissée, suspend la parole sur un non-dit, qu’il est négligeable. Ce « mais » là est lourd d’ambiguïté. Il indispose, il met mal à l’aise, il révulse. Il sonne comme une hésitation coupable …

Le « mais… » s’est insinué si vite. Partout. Il a couru les réseaux sociaux, les tribunes, les lettres ouvertes, les plateaux de télévision et de radio, et même les appels les plus nobles. Il sidère.

Les mots ont un poids. Et ce n’est pas parce que le « mais » est tout petit, pose une réserve à peine esquissée, suspend la parole sur un non-dit, qu’il est négligeable. Ce « mais » là est lourd d’ambiguïté. Il indispose, il met mal à l’aise, il révulse. Il sonne comme une hésitation coupable.

Les mots signifient. Devant l’horreur absolue, a-t-on le droit d’hésiter ? Les Israéliens ont vécu un mixte du 11 septembre et du Bataclan. Qu’est-ce qui fait que tant de gens éprouvent le besoin pressant de cerner immédiatement le contexte, quitte à le brandir comme une probable explication, voire une justification ? Il est un temps pour la compassion, il en est un autre pour la compréhension. Et il n’est pas permis de faire l’impasse sur la première étape. Le 7 octobre n’est pas juste un épisode de plus dans le conflit qui oppose Israël et les Palestiniens. C’est un attentat terroriste.

Le contexte est connu, peu remis en cause. Les Palestiniens survivent dans la bande de Gaza dans une prison à ciel ouvert, sans perspective d’avenir. La possibilité de pouvoir vivre dans un État indépendant reste hypothétique. Israël a tout fait pour en empêcher la création. Les Palestiniens sont pris en otage à Gaza par le Hamas. Des sondages récents, faits avant l’attentat, ont montrés qu’une majorité de Gazaouis ne soutenait pas le mouvement et qu’ils critiquaient la corruption de ses dirigeants. Le projet islamiste n’est pas l’idéal palestinien. Je veux le croire.

La tuerie a tout cassé, et c’était bien l’objectif des terroristes. Les discussions avec l’Arabie Saoudite sont interrompues, Israël se retrouve à nouveau au milieu des tensions et face à tous les dangers, la rue arabe manifeste, trouve là de nouvelles raisons de conspuer Israël, de contester son existence, d’injurier les Juifs. Les manifestations de soutien au peuple palestinien deviennent autant de places où l’on profère des slogans antisémites. Les appels à la solidarité n’évoquent que les victimes palestiniennes, jamais les victimes juives, comme si la cause palestinienne n’autorisait pas la nuance, l’équilibre, l’indépendance d’esprit.

Une vague d’antisémitisme se répand à nouveau dans le monde. Là-bas comme ici. Dans le Daghestan russe, une foule a envahi un aéroport et cherchait un avion avec des Juifs à bord, prête à les prendre à partie, à les tuer. Dans la furie d’un nouveau pogrom. Le mot, faut-il le rappeler, est d’origine russe.

Je suis étonné de voir comment peu de responsables palestiniens dit modérés peinent à qualifier l’horreur, à condamner le Hamas pour ce qu’il est : un mouvement terroriste. Les mots ne sortent pas de leur bouche, ils évitent le sujet, ou alors, ils s’évertuent à considérer le Hamas comme faisant partie de la communauté palestinienne. Tant que ce sera le cas, tant que les Palestiniens ne prendront pas leur distance avec le mouvement extrémiste qui plaide la destruction des Juifs, il sera difficile, voire impossible, d’imaginer réinstaurer le dialogue.

La population de Gaza paie, elle aussi, un lourd tribut. Le Hamas n’en a cure. Cela fait plusieurs décennies qu’il dédie les fonds qu’il reçoit à creuser des tunnels et à préparer les attaques, pendant qu’Israël devenait un pays prospère, l’une des économies les plus performantes de l’OCDE. Il n’empêche, les bombardements incessants de la bande de Gaza causent d’innombrables victimes civiles innocentes. De victime, Israël redevient bourreau aux yeux du monde. Le piège se referme sur lui. C’était l’objectif des terroristes.

On a peu relevé les propos de Joe Biden lors de son voyage à Tel Aviv. Il a conseillé à Netanyahou de ne pas faire les mêmes erreurs que les Etats-Unis après le 11 septembre, qui les avaient vu intervenir en Afghanistan et en Irak. Le conseil est peu audible pour l’instant. Peut-on demander un cessez-le-feu quand on est en guerre avec le terrorisme ?

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