Un monde nouveau
Vous avez aimé Yalta? Vous n’aimerez pas Yalta2
Trump et Zelensky sont côte à côte, ou presque. Le président français s’intercale, mêle-tout de talent. Notre-Dame, ressuscitée, a induit des effets inattendus samedi à Paris. Sûr, Victor Hugo aurait écrit une suite. Tout résoudre en 24 heures. Impossible à priori, mais Trump ne déclenchera le compte à rebours que le 20 janvier, au moment de son investiture.
Deux ou trois choses sur le monde comme il va. Des analyses géopolitiques, des notes de lecture, des témoignages.
Le malaise dans l’entreprise
Le monde nouveau, c’est aussi dans les entreprises où les jeunes ne s’y épanouissent pas et les quittent pour des projets personnels plus proches de leurs aspirations mais où les entreprises elles-mêmes voient leur identité et leur sens se diluer.
Le grand désordre mondial
L’éditorial de la Neue Zürcher Zeitung (14 déc. 2024) par Eric Gujer.
Extraits :
Le monde est un château de cartes. Récemment, Asad semblait solide en selle. Maintenant, le dictateur a fui et Damas appartient aux rebelles. Personne ne sait encore si ce qui succède à la révolution islamiste sera meilleur que l'ancien Régime. De telles césures sont la signature de notre époque : le départ précipité des Américains de Kaboul, l'invasion russe de l'Ukraine, l'orgie sadique du Hamas. Du jour au lendemain, de nouveaux événements, pour la plupart sanglants, surgissent.
(…) Celui qui est prêt à utiliser la force maximale, celui qui est prêt à payer un prix élevé si nécessaire, peut prendre beaucoup de pouvoir. Ce n'est pas plus différent en Europe qu'au Moyen-Orient.
(…) La bonne nouvelle de ce revirement de la politique de puissance est que les conditions peuvent changer brusquement en faveur de l'Occident assiégé. Ces dernières années, l’Occident s'était presque résigné au fait que l'axe autoritaire formé de la Chine, de la Russie, de l'Iran et de la Corée du Nord l'emportait. Les lamentations sur la montée inexorable des ennemis de la liberté remplissent des bibliothèques entières.
(…) La mauvaise nouvelle est la suivante : pour que la situation s'améliore, on doit agir concrètement, et être prêt à prendre des risques. Celui qui attend ne gagne rien. Les États-Unis observent depuis trop longtemps le Moyen-Orient. Cela ne suffit pas. Les Européens à nouveau comptent sur le grand frère américain pour négocier avec Moscou une solution pour L'Ukraine. Ce n'est certainement pas suffisant. Un ordre stable n’arrive pas tout seul.
Trump et Rubio ont soudain une chance de remodeler le Moyen-Orient
L’analyse de Thomas L. Friedman du New York Times, extraits :
(…) Le renversement du président Bachar al-Assad par les rebelles syriens est l'un des événements les plus importants, potentiellement les plus positifs, et révolutionnaires au Moyen-Orient au cours des 45 dernières années. Le problème avec les opportunités en politique étrangère, cependant, c'est qu'elles peuvent sortir totalement de nulle part - et les grands présidents sont ceux qui les saisissent, même si cela signifie manger son chapeau.
En toute honnêteté à propos de Trump, lorsque l'opportunité des Accords d'Abraham est apparu en 2020, aussi de manière imprévue, il l'a saisie et a aidé à forger la normalisation entre Israël et quatre États arabes – pour le profit de la région et des États-Unis. C'est un moment similaire. Les chances de succès sont faibles, le gain pourrait être énorme, et les risques pour l'Amérique ne sont pas si élevés, mais cela nécessitera un leadership américain beaucoup plus intensif que les Accords d'Abraham.
(…). Je crois que le problème syrien sera un microcosme du défi clé auquel l'équipe de politique étrangère de Trump sera confrontée à l'échelle mondiale - comment gérer la faiblesse, pas la force. Comment gérer les États qui s'effondrent et menacent le monde par leur effondrement, pas les États qui se lèvent et menacent le monde de leur force. À part la Chine, ce sont les États faibles, et non les États forts, qui heurteront l'Amérique et ses alliés, et donc le défi central pour l'équipe Trump sera de savoir comment construire la nation ou réparer la nation à un coût que le peuple américain acceptera. (…)
Pourquoi la Syrie était importante pour le Kremlin
Dans cette analyse de The Atlantic, rédigée quelques heures avant la chute de Damas et la fuite de Bachar al-Assad, Nicole Grajewski explique pourquoi la Syrie n'est pas seulement un avant-poste militaire pour la Russie, mais la pierre angulaire de son ambition d’accéder au statut de grande puissance. Extraits :
(…) La Syrie est importante pour Moscou parce qu'y intervenant, en 2015, l’intervention a permis à Poutine d'inverser le récit du déclin russe qui s’était développé depuis l'effondrement de l'Union soviétique. La Russie ne serait ainsi plus ce que le président de l'époque, Barack Obama, avait qualifié de "puissance régionale" en déclin - elle serait le soutien du régime d'Assad, décisif et signe d’une grande puissance, et en tant que telle, elle réécrirait le manuel de référence de l'intervention extérieure au Moyen-Orient. Les interventions conduites par les Américains, l'invasion de l'Irak et la campagne de l'OTAN en Libye, avaient détruit les États et engendré le chaos. La Russie viserait à l'effet inverse, préserver la souveraineté syrienne et l'ordre régional. (…)
Si épuisante que la guerre en Ukraine puisse être pour la Russie, le Kremlin ne la voit pas comme un substitut à ses ambitions au Moyen-Orient. La Syrie n'est pas seulement un avant-poste militaire. Elle est la pierre angulaire de la revendication de la Russie à prétendre au statut de grande puissance, le théâtre où elle peut démontrer sa stature diplomatique et un récit différent de l'interventionnisme occidental. Cela explique pourquoi la Russie continue d'investir en Syrie même si elle mène une guerre coûteuse en Ukraine. Moscou peut ajuster sa stratégie, mais abandonner la Syrie signifierait perdre quelque chose de beaucoup plus précieux que du territoire : la position durement acquise de la Russie comme acteur puissant et indispensable au Moyen-Orient (…)
Contre la tentation du pessimisme
Anne Applebaum vient de recevoir le Pris des libraires allemands à la Foire du livre de Francfort. Voici deux extraits de son discours, traduits de l’anglais par le site Desk Russie.
(…) Il y a deux siècles, Emmanuel Kant, en mémoire duquel ce prix a été créé, a également décrit le lien entre le despotisme et la guerre. Il y a plus de deux millénaires, Aristote écrivait qu’un tyran est enclin à fomenter des guerres afin de préserver son propre monopole du pouvoir. Au XXe siècle, Carl von Ossietzky, journaliste et militant allemand, est devenu un farouche opposant à la guerre, notamment en raison de l’impact qu’elle avait sur la culture de son propre pays. Comme il l’a écrit en 1932, nulle part ailleurs on ne croyait autant à la guerre qu’en Allemagne. Nulle part ailleurs les gens n’étaient davantage enclins à ignorer ses horreurs et à se désintéresser de ses conséquences. Nulle part ailleurs on ne célébrait le métier de soldat de manière aussi peu critique. Depuis l’invasion de la Crimée en 2014, ce même processus de militarisation, cette même célébration du combat s’est également emparée de la Russie. Les écoles russes forment désormais les jeunes enfants à devenir des soldats. La télévision russe encourage les Russes à haïr les Ukrainiens, à les considérer comme des sous-hommes. L’économie russe a été militarisée. Quelque 40 % du budget national sont désormais consacrés à l’achat d’armes. Pour obtenir des missiles et des munitions, la Russie traite désormais avec l’Iran et la Corée du Nord, deux des dictatures les plus brutales de la planète. Le fait de parler constamment de la guerre en Ukraine a également normalisé l’idée de guerre en Russie, rendant d’autres guerres plus probables. Les dirigeants russes parlent désormais avec désinvolture de l’utilisation d’armes nucléaires contre leurs voisins et menacent régulièrement de les envahir.
(…)
Il ne s’agit pas seulement de l’Ukraine, mais aussi de ses voisins en Géorgie, en Moldavie et au Bélarus. Il ne s’agit pas seulement de la Russie, mais aussi de ses alliés en Chine, en Iran, au Venezuela, à Cuba et en Corée du Nord. Mais le défi n’est pas seulement militaire. Il s’agit aussi d’une bataille contre le désespoir et le pessimisme, et même contre l’attrait rampant des régimes autocratiques, qui se cache parfois sous le faux langage de la paix. L’idée que l’autocratie est sûre et stable, que les démocraties provoquent la guerre, que les autocraties protègent une certaine forme de valeurs traditionnelles alors que les démocraties sont dégénérées, ce langage provient également de la Russie et du monde autocratique au sens large, ainsi que de ceux qui, au sein de nos propres sociétés, sont prêts à accepter comme inévitables le sang et la destruction infligés par l’État russe. Ceux qui acceptent la suppression de la démocratie chez les autres sont moins susceptibles de lutter contre la suppression de leur propre démocratie. La complaisance, comme un virus, traverse rapidement les frontières. La tentation du pessimisme est réelle. (…)
Où est l’espoir?
Le nouveau livre de Jean Ziegler
Il y a dans le titre ce point d’interrogation d’un poids terrible, d’autant plus qu’il ponctue une carrière riche de réflexions, d’engagements politiques et militants. Où est-il donc cet espoir qui anima Jean Ziegler tout au long de sa vie ? On n’est pas trop surpris que son nouveau livre s’ouvre sur cette interrogation, lancinante, suggérant le pessimisme, et les quelques réponses parsemées ici et là sont trop courtes pour paraître porteuses réellement d’espoir, en tout cas pas suffisamment fortes pour balayer le doute.
Et il y a de quoi. Le sociologue lit les rapports, il en a rédigé aussi car il a assumé de nombreux mandats d’envoyé spécial pour l’ONU. Et ce qu’on y trouve est toujours glaçant, c’est peut-être la raison qui fait qu’on les oublie très vite. Mais la réalité s’impose, obstinée. Les chiffres sur la pauvreté, la faim dans le monde, les victimes de la guerre, les inégalités sont affolants. « Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse du sous-développement – la faim, la soif, les épidémies et la guerre – détruisent chaque année des millions d’hommes, de femmes et d’enfants. Pour les peuples exposés à ces tragédies, la troisième guerre mondiale a commencé », dit-il dans une envolée prophétique.
André Crettenand
Pohoda, le mot pour le dire
Révéler l’âme d’un peuple, la débusquer, la saisir, et la raconter aux curieux et aux amis, c’est la mission que l’éditeur Nevicata confie à ses auteurs et à ses autrices. Renata Libal a accepté la mission et s’en est allée du côté de la Tchéquie, l’un de ces pays dont on ne sait toujours pas où ils se situent vraiment sur la carte ni ce qu’ils sont réellement, comme tant d’autres pays hérités de la chute du Mur et dont on n’a pas encore accepté complètement l’héritage. Elle a plongé au plus profond d’elle-même pour vibrer avec ce pays que son cœur connaît, puisqu’il puise ses racines là-bas. Première leçon : l’âme est affaire de cœur.
Un mot seul peut-il dire un peuple ? Renata Libal ose : « Pohoda ». Intraduisible. Comparable imparfaitement au hygge danois, au gemütlichketit bernois, au cocooning ailleurs. Mais on ne mélange pas les âmes.
IA, l’été qui a tout changé
Imaginez un groupe de jeunes hommes réunis sur un campus universitaire pittoresque de la Nouvelle-Angleterre, aux États-Unis, pendant l’été nordique de 1956.
Il s'agit d'un petit rassemblement informel. Mais les hommes ne sont pas là pour des feux de camp et des randonnées dans la nature dans les montagnes et les bois environnants. Au lieu de cela, ces pionniers sont sur le point de se lancer dans un voyage expérimental qui suscitera d'innombrables débats pendant des décennies à venir et changera non seulement le cours de la technologie, mais aussi celui de l'humanité.
Bienvenue à la conférence de Dartmouth – le berceau de l’intelligence artificielle (IA) telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Ce qui s’est passé ici mènerait finalement à ChatGPT et aux nombreux autres types d’IA qui nous aident aujourd’hui à diagnostiquer des maladies, à détecter des fraudes, à créer des listes de lecture et à écrire des articles (enfin, pas celui-ci). Mais cela créerait également certains des nombreux problèmes que le domaine tente encore de surmonter. Peut-être qu’en regardant en arrière, nous pourrons trouver une meilleure voie à suivre. (…)
Une histoire fascinante des premiers pas de l’IA, dans les années 50, que vous retrouvez sur l’International Science Council, rédigé par Sandra Peter, Directrice de Sydney Executive Plus, à l’Université de Sydney.
Californie, une smart loi
Le gouverneur Newsom signe un projet de loi qui protège les enfants sur les réseaux sociaux. Les GAFA s’insurgent.
L’OTAN s’installe à Genève
L’Organisation va ouvrir un bureau de liaison à Genève. Polémique.
Musk s’incline au Brésil
Il accepte de supprimer des comptes comme lui ordonne la justice espérant la levée du blocage de X.
Proche-Orient, la Suisse sollicitée
L’ONU demande à la Suisse d’organiser dans les six mois une réunion des parties aux Conventions de Genève sur le conflit au Proche-Orient.
Espions chinois en Suisse
Une étrange histoire que l’émission Objectif Monde raconte et analyse avec ses invités.
35 milliards pour l’Ukraine
L’UE financera le prêt grâce au gel des avoirs russes en Europe.
Suisse, l’invention d’une nation
Le livre sur la Suisse, son histoire, ses particularités.
Un président ne devrait pas être comme ça
Patrick Nussbaum décrit Emmanuel Macron en Jupiter proclamé devenu Vulcain..
N’est pas Guillaume Tell qui veut
Il y a quelques années, jeune journaliste, j’étais allé à la rencontre de Peter Bichsel. L’écrivain résidait dans la vieille ville de Soleure, et il m’avait reçu avec amabilité bien que morose ce matin-là, un peu ronchon. J’enquêtais sur le pays. Un drôle de pays, un pays étrange, et pourtant familier. « Romands et Alémaniques s’entendent parce qu’ils ne se comprennent pas ! », m’avait-il asséné d’entrée de jeu. Je trouvais la formule géniale, n’insistais pas trop, et la rapportais très fier à la rédaction. Depuis, elle a souvent été reprise pour expliquer le mystère. Celui qui veut que des communautés si différentes, de langues diverses, et de cultures autres puissent coexister pacifiquement, et gérer les affaires du pays sans coup férir. Un mystère que les étrangers perçoivent ainsi, qu’ils nous envient parfois, et que nous-mêmes sommes incapables d’expliquer. Sauf à dire : nous Suisses, nous ne nous comprenons pas.