Bizarre, vous avez dit bizarre?
Vaut-il mieux être fou que bizarre ? C’est Tim Walz, choisi colistier par Kamala Harris, qui a trouvé le mot juste : « Ils sont weird ces gars-là ». Il était invité au « Morning Joe » sur MSNBC, à parler du couple Trump/Vance, et on s’attendait à la litanie habituelle des qualificatifs désobligeants, mais qui vous viennent naturellement à l’esprit quand on évoque l’histrion et son nouveau compère.
Non, Tim a dit : « Ils sont bizarres… » Pour le brave professeur, devenu représentant du Minnesota au Congrès, puis gouverneur, dire autant de bêtises n’est pas normal. Quelque chose cloche. Il y a encore en Amérique un bon fonds de raison, pense-t-il, et les élucubrations de Trump, pour ne pas parler du stratosphérique Vance, paraissent en effet étonnantes, décalées, échappant au bon sens du Midwest. Tim Waltz le sympa n’a l’air de rien, mais il a décoché la banderille la plus sanglante et la plus efficace de la campagne présidentielle. Peut-être que la trouvaille a convaincu in fine Kamala Harris qu’il était le compagnon parfait pour gagner en novembre. Subtil, et très méchant.
“Le fou fait peur, le bizarre inquiète”.
« Weird… », le mot fait florès chez les démocrates et résonnent largement sur les réseaux sociaux. Le fou, on connaît, on sait où on va. Et on peut même imaginer pouvoir vivre avec lui. Le fou fait feu de tout bois, il rue, il gueule, il dérange, il fait parler de lui. Mais le bizarre, lui, dit des choses incompréhensibles. On ignore où il veut en venir, il bavarde, il zigzague, il s’égare. Le fou fait peur, le bizarre inquiète. Bref, mieux vaut s’en tenir à distance, ne pas trop le fréquenter. Au besoin, ne pas voter pour lui.
Il est toujours possible de nier le réel, quoi que vous rétorquent amis et adversaires. Cela se nomme la mauvaise foi. Trump n’a jamais redouté la réalité, ni ne s’est embarrassé des faits qui lui donnaient tort. Il a pour lui la vérité dite alternative et s’en accommode très bien, d’autant plus que l’époque en raffole. Il y a toujours un mensonge possible plus gros que l’autre. L’important étant de surfer sur le bruit.
Mais là, on ne parle pas de la vérité, du rapport au réel, mais d’une interrogation, d’un doute qui s’empare de vous, et qui fait que vous ne savez plus qui est le personnage, non pas s’il dit la vérité, mais s’il dit quelque chose de compréhensif, s’il partage encore quelque chose avec le commun des mortels. C’est le grain de sable qui s’immisce dans les neurones et qui vous fait hésiter. Quand on hésite, dit Sartre, la décision est déjà prise.
A choisir, je crois que nous préférons tous risquer de passer pour fou plutôt que bizarre. Pour Trump, c’est trop tard, Tim Walz l’a capté ainsi, et il le restera jusqu’à l’élection en novembre, et au-delà. D’ailleurs, ne fut-il pas un président bizarre ?
“Nous sommes dans la lune de miel et l’extase de la révélation”.
« Coach Walz », comme Kamala le surnomme parce qu’il fut entraîneur de football américain, n’est pas un furieux, loin de là. Un papy normal, affable, heureux et fier de son pays qui voit deux enfants de la classe moyenne briguer la Maison Blanche. Il n’est pas un show man mais il surgit là où on ne l’attend pas. La machine républicaine ne sait pas encore comment aborder et détruire les deux sympathiques. Nous sommes dans la lune de miel, et l’extase de la révélation. Kamala Harris va devoir dire bientôt des choses consistantes sur son programme. Comme dit Tim Walz : « Mieux vaut que nous soyons prêts à offrir quelque chose ». Et la bataille s’engagera vraiment.