Kamala, l’entrée en scène
Le vieil homme, désormais c’est lui. Qui se voit encore fringant, plein d’énergie et d’allant, béni des dieux, mais radoteur impénitent, perdant le fil, racontant des histoires à dormir debout, des histoires du passé où il aurait conduit de grandes affaires et résisté aux pires méchants. La star, c’est elle. Femme de l’ombre qui prend soudain la lumière, enfant d’émigrés, venue de l’ouest californien, déroulant un autre récit, surprenant, un destin, tel que l’Amérique les aime.
En se retirant de la course à la présidence, Joe Biden a fait s’inverser les rôles. Donald Trump a vieilli d’un coup, et il n’est plus le favori absolu. Et Kamala Harris suscite tous les espoirs démocrates. Avec la différence de génération, c’est comme si le passé voulait bloquer l’avenir. On n’écoutait plus guère Trump et son monologue maniaque et bavard, jugeant que l’élection était pliée. Mais on va scruter à nouveau sa démarche, ses propos incohérents, ses citations déroutantes, ses oublis. On regardera Trump, avec ironie, mais on écoutera Kamala, avec curiosité.
L’intérêt énorme que suscite la candidate démocrate se mesure aussi à la panique grandissante de Trump et de ses équipes. Ils prétendent n’en faire qu’une bouchée. Mais ils multiplient les tweets rageurs, les quolibets, les injures comme s’ils n’avaient rien de sérieux à lui reprocher. Ils peinent même à changer de logiciel, focalisés qu’ils sont sur Biden. Kamala Harris serait « Biden 2.0 ». Elle serait comptable du bilan Biden. Elle aurait caché l’état de santé de Biden. Biden, encore Biden. L’obsession.
Mais Joe n’est plus candidat. Il est à parier qu’ils vont bientôt s’en rendre compte, et découvrir qu’elle est d’abord Kamala, et qu’elle est en passe de rallier les femmes, les jeunes, la communauté afro-américaine, les latinos, les abstentionnistes, les indépendants. Et de rattraper ces États qui faisaient mine de donner la victoire aux Républicains. Trump a raison de s’inquiéter. Il cherche encore l’angle d’attaque.
“Les réseaux sociaux bruissent d’excitation comme jamais depuis les débuts d’Obama. “
Un phénomène Kamala, d’autant plus stupéfiant qu’elle a traversé le mandat de vice-présidente dans la discrétion, souvent invisible. Mais jamais transparente. Chaque fois qu’elle est apparue, elle a suscité ce quelque chose d’indéfini qui est un mélange d’intérêt, de sympathie, de bienveillance, d’attention aux autres, qui est une forme d’aura. En tant que personnalité, elle a déjà gagné. Les réseaux sociaux bruissent d’excitation comme jamais depuis les débuts d’Obama.
En quelques heures la discrète Kamala a passé une centaine de coups de fil aux Démocrates pour s’assurer de leur appui, et elle a récolté plus de 100 millions de dollars. Les sondages du New York Times montrent qu’elle fait déjà presque jeu égal avec Trump, lui qui caracolait largement en tête depuis le débat funeste. La victoire n’est plus certaine, la défaite est possible. Il s’ébroue comme un taureau furieux, déjà piqué de banderilles.
“L’Amérique voudra-t-elle s’associer à la soif de revanche de l’ex, ou parier sur la nouvelle, et oser le changement ? “
Mais les Américains ne veulent pas seulement être séduits, ils attendent des réponses concrètes à leurs soucis, notamment en économie. Ils voudront savoir qui est plus à même d’améliorer leur vie quotidienne, et peut-être davantage encore, qui est capable de redonner du lustre à l’Amérique, lui donner le sentiment qu’elle est forte et qu’elle sait où elle va. Traquer le criminel Trump ne suffira pas à la procureure californienne. Il lui faudra dérouler un programme. On ne voit souvent que le trublion et son jeu ébouriffant, oubliant son électorat, soucieux du coût de la vie, inquiet par l’immigration massive du sud.
L’Amérique voudra-t-elle s’associer à la soif de revanche de l’ex, ou parier sur la nouvelle, et oser le changement ? Ce qui est sûr, c’est que Trump a désormais deux adversaires à sa mesure. Kamala la révélation guerrière, et lui-même, tant il est son propre mauvais génie.