Kamala, à un battement de cœur
Elle est là, mais ne fait que passer, très vite. Image furtive, mais elle est bien là. Souriante, active, et sa vivacité illumine la scène. Il faut revoir la séquence, ajuster la focale, oublier un peu le candidat naturel qui occupe le devant de la scène, pour la saisir, elle. Sans elle, le tableau ne serait pas complet, comme un film qui manquerait d’un second rôle à la hauteur. Et Joe Biden le sait qui la projette dans une nouvelle campagne pour la présidence.
Kamala Harris est de retour, serait-on tenté de dire. Non qu’elle ait disparu, mais elle s’était faite discrète. Première femme de couleur accédant à la vice-présidence, beaucoup la voyait déjà succéder quatre ans plus tard à Joe Biden, après une carrière fulgurante de procureure générale de la Californie, puis de sénatrice, traversant le ciel des Etats-Unis d’Ouest en Est, comme une météorite. Mais la vice-présidence l’a un peu éteinte, ce qui est le propre de la fonction.
Le ticket pour la présidence n’est jamais banal. L’homme ou la femme qui escorte le candidat doit apporter d’autres qualités, mobiliser d’autres électorats. Mais il cèle un autre enjeu, peu débattu. C’est Lyndon Johnson qui l’a mis en lumière, expliquant tout à trac son choix modeste d’être sur le ticket de J.F. Kennedy : « Un président sur quatre, disait-il, est mort en exercice, je suis à un battement de cœur de la présidence ! ».
Là, on regarde Kamala Harris sous un jour nouveau. Elle n’est pas que candidate à la vice-présidence, elle sera potentiellement appelée à la présidence. Car Joe Biden aura 82 ans en 2024. Les Démocrates proposent deux présidents à la fois, en quelque sorte. Ce qu’a résumé Nicky Halley, la candidate républicaine, d’une formule assassine, en disant : Joe Biden va mourir, voter Biden, c’est porter Harris à la présidence.
Le second rôle appelle à modestie. Il s’agit de ne pas prendre la lumière à la place du premier rôle, ni de brûler la politesse à qui de droit. Mais Kamala a beaucoup fait dans la discrétion, non qu’elle l’eût souhaité, mais parce qu’elle a semblé timide dans la fonction. Est-elle prête, alors qu’elle a semblé jusqu’ici un peu perdue ? A-t-elle suffisamment appris, car la campagne lui sera rude et ne l’épargnera pas ?
Les Républicains n’auront pas grand-chose à lui reprocher, sauf à ressasser tous les jours qu’il est vieux, ce que tout le monde sait, et qui n’est pas encore un défaut.
Attaquer Biden ne sera pas facile. Son bilan est plutôt bon, l’économie va bien, il a réussi à faire voter des lois importantes, il a su gérer parfaitement la crise ukrainienne, et mener la coalition pour sauver le peuple ukrainien. Les Démocrates ne sont pas enchantés malgré tout comme le montrent les derniers sondages, mais ils ne voient pas d’alternative. Les Républicains, eux, n’auront pas grand-chose à lui reprocher, sauf à ressasser tous les jours qu’il est vieux, ce que tout le monde sait, et qui n’est pas encore un défaut.
En s’inscrivant à nouveau sur le ticket pour la présidence, Kamala Harris se prépare à capter la lumière. Elle multiplie les apparitions. Elle s’est engagée hardiment dans la défense des libertés civiles et du droit à l’avortement. Elle investit la scène internationale. Elle a fait une tournée en Afrique fin mars qui l’a conduite notamment au Ghana, à Cape Coast, le port d’embarquement des esclaves, où elle a su parler avec le cœur, évoquant sa mère indienne et son père jamaïcain noir. A la Conférence sur la sécurité de Munich, en février, c’est elle qui a porté l’accusation contre la Russie pour crimes contre l’humanité.
Joe Biden a besoin plus que jamais d’une Kamala Harris qui étincelle. Et qui soit, elle aussi, prête pour éventuellement accomplir la mission : « Let’s finish the job ! ».