Le prix du mensonge
C’est le prix du mensonge : 787,5 millions de dollars. C’est assez précis, et plutôt impressionnant. Une somme que la chaîne américaine Fox News va verser à l’entreprise Dominion Voting Systems. Un compromis qui permet à la chaîne d’éviter de longues semaines de procès, où les turpitudes de ses éditorialistes stars auraient été exposées ad nauseam, et où Robert Murdoch, le patriarche historique, aurait dû venir témoigner, piteusement.
Il y a le prix, et l’aveu qu’il sanctionne : la chaîne reconnaît de fait que certaines affirmations répétées à l’antenne après la défaite de Trump étaient fausses. Ou plus exactement que ceux qui les professaient à l’antenne savaient qu’elles étaient fausses, mais qu’ils les ont sciemment défendues croyant plaire ainsi à leur public. Eh oui, les machines à voter ont parfaitement fonctionné, n’en déplaise à l’ex-président.
Fox News s’est inscrit dans la ligne de la « vérité alternative », selon le mot astucieux de Kellyanne Conway, conseillère du président américain Donald Trump, se disputant, en janviers 2017, avec les journalistes, sur l’affluence réelle à la cérémonie d’investiture du Donald Trump, et soutenant envers et contre tous qu’il n’y avait jamais eu autant de monde lors d’une investiture. Elle ne voyait là aucune malignité, juste une autre manière de voir les choses. Comme si le fait de colporter de fausses nouvelles devait être considérée comme la relation ingénue d’un autre point de vue. Depuis, la « vérité alternative » a fait fortune, et pollue le débat public.
Qu’un média national de l’envergure de Fox News adopte cette logique du « mensonge vrai », et invoque la liberté de la presse pour dire n’importe quoi, est une autre raison de s’en alarmer. Les médias ne cessent de plaider leur professionnalisme, leur souci de l’équilibre et de l’exactitude. Des valeurs qui les distinguent de tout ce que l’on peut pêcher dans le marais fongeux des réseaux sociaux. En manquant singulièrement d’éthique, les éditorialistes de Fox News ont nui profondément à la crédibilité des médias.
La « vérité alternative » ne saurait être l’argument ultime du marketing, comme l’ont cru à tort les éditorialistes de la chaîne. Elle n’est pas innocente, ni sans risques. Elle conduit à des catastrophes comme l’a montré l’assaut furieux du Capitole par une foule en délire, chauffée à blanc par l’imprécateur.
787,5 millions de dollars : c’est le plus gros règlement jamais atteint dans une affaire de diffamation.
Les Maga ne croient pas tous à la fraude invoquée par Trump, mais ils s’ingénient à le croire, car cela leur fait du bien, et les conforte dans le sentiment qu’ils appartiennent à un autre monde. Ils erraient sans parti, sans maître à penser, ils trouvent là une famille, et un chef, où leur ignorance n’est pas stigmatisée. Ils ont droit de penser n’importe quoi, et de le dire bruyamment. Le président Trump leur a montré l’exemple. Il les a confortés dans leur vice, il les a flattés à l’envi.
787,5 millions de dollars : c’est le plus gros règlement jamais atteint dans une affaire de diffamation. « Le règlement que nous avons négocié a atteint deux objectifs critiques, dit John Poulos, le cofondateur et CEO de Dominion, dans une tribune dans le New York Times : permettre à nos employés et à nos clients d'aller de l'avant, et frapper Fox là où cela fait le plus mal : son compte bancaire ».
Il aura fallu l’opiniâtreté de l’entreprise, la menace du procès et l’appréciation du verdict pour que Fox capitule. Ce n’est pas le cas de Donald Trump. Pas encore.