Une amitié “sans limites“
Ce n’est pas de l’amour. Mais un sentiment tout aussi fort. A quelques heures de l’ouverture des Jeux olympiques de Pékin, le 4 février 2022, Poutine et Xi se font des mamours infinis, se promettent des choses éternelles, s’entendent comme larrons en foire.
Poutine projette son « opération spéciale » en Ukraine. Il obtient le feu vert de son ami. Il ne perturbera pas les jeux, c’est entendu. Il attendra la fin de la fête.
Une année et demie plus tard, où en est-on ? La Chine livre bien à la Russie des processeurs et des composants électroniques, en catimini. Elle évite de condamner officiellement l’agression. Elle profite d’achats d’hydrocarbures bon marché. Mais elle se garde de briser ouvertement les sanctions européennes et américaines, ce qui lui fermerait le marché mondial et mettrait en péril son économie. Elle ne livre pas d’armes, ce qui tendrait à prouver que l’amitié connaît, malgré tout, certaines limites.
« La Chine, dit Marie Holzman, a beaucoup de clients, mais peu d’amis ». La sinologue préfère parler plus prosaïquement d’« alliance de convenance ». Elle le redisait fin juin dans un colloque organisé par Desk Russie à Paris. Où Galia Ackerman, la rédactrice en chef du site, relevait avec justesse que Xi et Poutine se retrouvaient surtout sur le rôle du parti unique et le refus de l’alternance démocratique. L’amitié des dictateurs en quelque sorte. « Il ne peut y avoir d’amitié là où est la cruauté, là où est la déloyauté, là où est l’injustice », écrit La Boétie, au milieu de 16e siècle, dans le Discours sur la servitude volontaire. Et il ajoute : « Et pour les méchants, quand ils s’assemblent, c’est un complot, non pas une compagnie ; ils ne s’entraiment pas, ils s’entrecraignent, ils ne sont pas amis, mais ils sont complices ».
C’est que cette amitié-là est née de l’inimitié des mêmes ennemis. La Chine et la Russie proclament leur haine complice de l’« Occident global ». Poutine et Xi sont convaincus que l’Occident vit la fin de sa civilisation et qu’il est temps de prendre le relais, d’imposer leurs règles au monde. Mais leur modèle est encore loin de séduire.
Hollywood, Genève, Courchevel, et les universités anglo-saxonnes attirent plus que jamais leurs élites. Le modèle de société qu’ils construisent, et imposent dans leur pays, n’est pas celui dans lequel ils aimeraient vivre. Leurs enfants le leur disent. Ils étudient à Londres ou aux Etats-Unis. Ils ont lu «1984», de George Orwell. Le romancier décrit si bien le pire des mondes à venir.
“La Chine, elle, a observé. Pris son temps. Attendu de connaître le sort des armes et le destin des hommes avant de s’annoncer. L’ami fut prudent.”
Si les relations entre la Chine et la Russie interrogent à nouveau, c’est à cause de l’incroyable équipée vers Moscou de Prigogjne, le patron de Wagner, dont on n’a pas encore mesuré tous les effets. Le Qatar, l’Arabie saoudite, l’Iran ont appelé très vite Moscou, voulant assurer Poutine de leur soutien. La Chine, elle, a observé. Pris son temps. Attendu de connaître le sort des armes et le destin des hommes avant de s’annoncer.
L’ami fut prudent.
Il y en a donc un qui est plus ami que l’autre, qui en attend davantage. Et ce n’est pas le puissant Xi, maître de lui-même, peu susceptible d’être défié par un desperado de fortune qui est le plus quémandeur. Ce n’est pas lui qui aurait pâli et tremblé devant un « traître », frémi de vengeance, et nourri un monstre en son sein. Le sort du vassal Poutine est ainsi réglé. Pékin parie sur le prochain tsar.