You talkin’ to me ?

La photo dit qu’il bouillonne de colère. Qu’il a la haine. Et aussi, qu’il est prêt à en découdre. Avec les juges, avec les républicains, avec les démocrates, avec l’Amérique, avec le monde entier. Il les défie tous. « You talkin' to me ?». Et la photo le dit si bien qu’il l’a diffusée aussitôt, et érigée en portrait de campagne. Rien à voir avec les clichés austères, neutres, grisouilles et moches des malfrats. Lui, il a su poser, et ce n’est pas l’effroi du cachot qui le chagrine. Trump a fait d’un moment honteux, saisi dans une prison d’Atlanta, un événement avantageux et profitable.

Le bravache vulgaire, menteur compulsif et filou doué, doit-il pour autant devenir à nouveau président des Etats-Unis ? L’excellence dans la méchanceté vaut-elle excellence tout court ? Beaucoup d’Américains séduits par le personnage ne sont pas toujours dupes, mais ils admirent l’artiste, et lui accordent volontiers leur voix pour reconnaissance de ses exploits médiatiques. Ce qui dit aussi beaucoup de la déréliction du débat démocratique. La démocratie ne postule-t-elle pas que ce soit celle ou celui qui nous semble le plus à même de faire le bien pour la nation qui mérite d’occuper le poste suprême ? Et non celui dont on applaudit les coups tordus, les mensonges éhontés et le culot sans limites ?

Il y a un mystère Trump pour nous qui observons le personnage. La photo devrait épouvanter, et faire fuir tout le monde, républicains compris. Or, elle captive. Elle aurait même boosté la récolte de fonds pour la campagne présidentielle. C’est qu’il y a autre chose. L’angoisse du déclin sans doute. La défiance envers les élites et les médias, la montée de l’intolérance, le racisme. Le besoin de revanche. La perte des repères qui fait qu’on ne sait plus ce qui est vrai, et ce qui ne l’est pas. Un monde déréglé et un espace médiatique saturé par les opinions, les influences et les manipulations de toute sorte. Il y a surtout la fascination pour un personnage hors norme, le héros de bande dessinée qui terrorise Gotham. Le méchant serait-il devenu un héros comme un autre, pas moins respectable ? Ce qui témoignerait du renversement des idoles.

“La liste des crimes n’ébranle pas ses soutiens. Le champion reste admirable à leurs yeux, pas si coupable.”

Trump est inculpé dans quatre affaires criminelles. En Floride, à New York, à Washington, en Géorgie. Et des enquêtes sont en cours dans d’autres États où il a tenté de fausser les résultats du vote de 2020. Les actes d’accusation regorgent de forfaits stupéfiants. Le plus connu étant le fameux coup de téléphone au secrétaire d’État de Géorgie, Brad Raffensperger, où le président lui demande de trouver les voix manquantes, coûte que coûte, et lui prédit les pires ennuis s’il ne s’exécute pas. Mais Brad, tout républicain qu’il fût, avait tout enregistré, prévu le coup, invité un témoin.  

La liste des crimes n’ébranle pas ses soutiens. Le champion reste admirable à leurs yeux, pas si coupable.

L’élection se double d’un enjeu personnel pour Trump. Président, il pourrait s’accorder une grâce judiciaire. Sauf en Géorgie où il affronte la justice d’un État. L’année prochaine, Trump sautillera en permanence de la salle de tribunal à l’estrade de campagne, mêlant astucieusement les tribunes. Victime là, vengeur coiffé là.

Les Américains feront-ils confiance in fine au vieux monsieur à la démarche hésitante, mais sage et expérimenté, qui plus est, épaulé par l’une des meilleures équipes de l’administration, ou à l’apprenti arnaqueur, fan de Poutine, prêt à sacrifier une partie de notre Europe, celle de l’Est, sans état d’âme ?

« C’est à moi qu’ tu causes ? Je suis la seule personne ici ».

Pas sûr.

André Crettenand

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Une amitié “sans limites“