Esprit, es-tu là ?
L’esprit de Munich. La formule traîne derrière elle les effluves de la compromission, de la dérobade, et de la défaite aussi. Munich, là où, en septembre 1938, la France et l’Angleterre accordent à Hitler le droit d’envahir les Sudètes, en Tchécoslovaquie, croyant obtenir en échange la paix. Et l’on revoit parfois les images historiques de l’INA, filmant le président du Conseil français Édouard Daladier, de retour à l’aéroport du Bourget, acclamé par la foule qui se croit tirée d’affaire. « Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre», selon les propos prêtés à Winston Churchill. Et la guerre fut.
Munich n’est plus Munich. L’histoire retiendra que c’est là aussi qu’un weekend de février 2024, les alliés ont enfin pris conscience du danger réel que représente Poutine, et que l’Europe devait se préparer sérieusement au retour de la guerre sur l’ensemble du continent, si elle n’est pas capable de stopper le dictateur aux frontières de l’Ukraine. Et par une ruse de l’Histoire, un autre événement a percuté la réunion, et ajouté à la conscience de ce danger nouveau : la mort de l’opposant russe Alexeï Navalny, tué dans une colonie pénitentiaire du Grand Nord arctique.
On était morose. On fut triste. On était inquiet. On le fut plus encore. La guerre, à nouveau.
La Conférence de Munich sur la sécurité existe depuis 1963. Il s’agissait depuis lors de deviser posément des grandes questions de sécurité mondiale, mais ce fut longtemps une rencontre diplomatique aimable, un rendez-vous presque mondain. Le Mur de Berlin était debout, solide, rassurant, il sacrifiait les uns, mais convenait aux autres. Yalta avait dessiné les cartes de géographie. Avec la guerre déclenchée par Poutine, le forum a pris une autre dimension. Le monde est en ébullition. Les crises se multiplient, les alliances se recomposent. Les réprouvés s’organisent et forment un axe du mal qui les réjouit, leur donne de l’allant, de la visibilité, une identité presque.
La prise de conscience est la première étape. L’Europe doit désormais se réarmer. Préparer ses populations à la possible grande épreuve.
L’actualité des dernières semaines a apporté son lot de soucis et de menaces. Donald Trump annonce ne pas vouloir intervenir si un membre de l’OTAN est attaqué. Il encourage même Vladimir Poutine à faire ce qui lui plaît en Europe. Un Poutine qui n’en demande pas tant, et qui accroît la pression en lançant des avis de recherche contre les dirigeants baltes, dont la Première ministre estonienne Kaja Kallas. Les Républicains de la Chambre des représentants, eux, bloquent l’aide à l’Ukraine.
La prise de conscience est une première étape. L’Europe doit désormais se réarmer. Préparer ses populations à la possible grande épreuve. Les propositions fusent. Créer un « Airbus » de l’armement. Augmenter les dépenses militaires à l’exemple de l’Allemagne, de la Pologne et des Pays baltes. Nommer un commissaire européen à la Défense. Voire partager le parapluie nucléaire français. La Suisse, elle n’avait pas envoyé de ministre à Munich. L’agenda ne le lui permettait pas. Dommage pour celle qui rêve d’organiser une conférence pour la paix.
Munich, l’ancien, l’esprit de 38, nous rappelle opportunément que sacrifier des territoires et des populations en échange de la paix n’est qu’un marché de dupes. Abandonner à Poutine les territoires envahis le verrait reprendre son souffle, et envahir ce qui reste à prendre.