Le blanc n’est pas une couleur
L’homme en blanc a surpris ses ouailles. Analysant la situation militaire, de loin, et du haut du piédestal moral où l’Histoire l’a installé, il a décrété que les Ukrainiens avaient perdu la guerre. Qu’il n’y avait aucun sens à vouloir libérer à tout prix les territoires conquis par les Russes. Mieux valait se rendre, accepter le sort des armes, et faire allégeance au vainqueur. Hisser le drapeau blanc. Dans sa tombe, Jean-Paul a dû s’ébrouer, écoutant les propos d’un François peu amène envers cet Est décidément incompris.
Personne n’en voudrait au Pape d’exhorter les belligérants à faire taire les armes. S’il appelait tous à négocier, et en particulier les envahisseurs, on ne saurait le lui reprocher. Il aurait prié Poutine de retirer ses troupes, il aurait été plus cohérent dans sa quête de paix. Mais l’analyse fut courte. S’il est louable de pardonner, donner une prime au méchant tord un peu l’interprétation de la Vulgate.
Les Ukrainiens n’ont pas aimé le prêche. Dans une réponse cinglante, le ministre des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, a renvoyé le saint homme au bilan de ses prédécesseurs bénissant Benito Mussolini, fermant les yeux sur l’émergence du fascisme, timides sur le nazisme. « Quand il s’agit de drapeau blanc, dit-il, nous connaissons la stratégie du Vatican lors de la première partie du XXe siècle. J’appelle à éviter de répéter les erreurs du passé et à soutenir l’Ukraine et son peuple dans son combat pour la vie ». La réplique fut violente, à la hauteur de l’envoi papal.
Aveuglé par cet anti-américanisme propre aux Sud-Américains qui ont subi les vilénies de la CIA, le pape s’est fourvoyé dans son appréciation, au risque de se retrouver du mauvais côté de l’Histoire.
D’ailleurs, au temps du Mur, on ne se souciait pas trop du sort des populations de l’Est, l’appellation géographique les excluant de fait de la vraie Europe. On vivait sous la règle de Yalta.
Cela dit, la paix en Europe est bien l’enjeu à venir. Doit-elle s’instaurer grâce au retrait peu glorieux des Européens et des Américains, ou grâce à un retour à la raison du dictateur ? Ceci semblant impossible, on se rabat sur cela. En étant prêt, si nécessaire, à sacrifier une partie des Européens, sauf à considérer que les Ukrainiens n’en sont pas. D’ailleurs, au temps du Mur, on ne se souciait pas trop du sort des populations de l’Est, l’appellation géographique les excluant de fait de la vraie Europe. On vivait sous la règle de Yalta. Certains s’y réfèrent encore pour regretter le chaos actuel. Ou se convainquent, avec bonne foi ou folle espérance, que Poutine n’a pas d’intentions belliqueuses plus étendues, et qu’il s’en tiendra à ce qu’il considère comme son pré carré. Encore et toujours Yalta.
On a pourtant appris à écouter Poutine. Faut-il l’entendre quand il évoque ses appétences du côté des pays baltes ? Dans une récente interview, il cite 38 fois la Pologne. Une obsession, ou il faut relire Freud, pour qui un seul mot échappé dit beaucoup. Poutine, lui, grogne Pologne, renifle Pologne, fustige Pologne. Il a envahi l’Ukraine, la bombarde tous les jours, mais c’est déjà l’autre grand pays qu’il a dans le viseur. La Pologne plateforme stratégique des alliés, par où transitent matériels, armes et conseillers militaires. Base arrière de l’OTAN. Il a toutes les raisons d’être contrarié.
Le prêche papal s’élève alors que le temps semble suspendu. Les nouvelles du front ne sont pas bonnes. Le sommet de Munich fut un moment privilégié pour échanger des informations discrètes sur la guerre, et Emmanuel Macron en fut impressionné. Du coup, il choque l’Europe avec des propos ambigus sur l’envoi de troupes au sol. Les Etats-Unis trouvent des queues de budgets en attendant que le leader de la Chambre des représentants, sous la coupe de Trump, daigne soumettre au vote les milliards d’aide à l’Ukraine. L’Europe peine à forger l’unité. L’Allemagne pacifiste a opéré une révolution copernicienne en matière de défense en investissant 100 milliards, mais elle est exaspérée par les prétentions du président français à revendiquer le leadership européen et à vouloir prendre la lumière. Tout le monde attend de voir si Trump, ce diable de la géopolitique, va reprendre l’Amérique.
Couleur papale par excellence, le blanc ne va pas avec tout. L’Infaillible s’est trompé.