Le bruit et la fureur

Il injurie le vieil homme, l’accable de remarques désobligeantes, le couvre de quolibets. Il est désagréable, méchant, irrespectueux. Il blesse. Il ment, tout le monde en convient, mais il gonfle le torse, donne des coups de menton, et fait la moue. Il veut redevenir président des États-Unis. Cela plaît. Les téléspectateurs applaudissent.

Trump a battu Biden. C’est l’avis de beaucoup après le premier débat entre les candidats. Parce que le président avait de la peine à s’exprimer, qu’il avait des trous de mémoire et qu’il a parfois bafouillé. La perversité du système médiatique veut que les choses se passent ainsi, et que le plus habile, le plus violent, gagne des points, et soit récompensé. Dire les choses, avec calme, et Biden les a dites, c’est comme ne rien dire. Le président a un bilan, une économie florissante. Le chômage est jugulé. L’inflation se calme. Trump promet une baisse d’impôts, ce qui compte pour les plus riches, et les plus cyniques. Mais ce soir-là, on ne retient que le bruit et la fureur, les petites phrases, les familiarités. Ce qui fait rire ou jubiler.

Voyant Biden en difficulté, Trump en a rajouté, éructant de plus belle, osant la démesure, franchissant les limites, ne se sentant plus, ne craignant pas d’être plus tard démenti. Mentir est ainsi moins grave que bafouiller. Le public approuve encore.

Ce n’est pas le moindre paradoxe qu’il faille faire déverser tant de haine pour pouvoir prétendre être digne de la fonction suprême, et penser rallier ainsi une majorité d’Américains. L’Amérique a perdu ses repères. Une grande partie de la planète démocrate s’émeut. Les éditorialistes du New York Times invitent le président à se retirer. Les contributeurs prendraient peur. Les caciques paniqueraient. On réfléchirait à une alternative. Et on conclut qu’il n’y en pas vraiment, et qu’il est tard.

La tempête passée, il semble que les démocrates se disent qu’ils ont peut-être sur-réagi. Dans l’exercice du pouvoir, Biden n’est pas seul, il peut compter sur l’une des meilleures équipes réunies à Washington. Il est maître de ses moyens. Il dispose d’une vice-présidente, Kamala Harris, à un battement de cœur de la présidence, et qui n’est pas la politicienne fade que l’on voudrait nous vendre.

Devant cette avalanche de désaveux, il est quelqu’un qui s’en distancie. C’est l’ancien président, Barack Obama. « De mauvaises soirées de débat ça arrive », dit-il, croyez-moi, je le sais. Mais cette élection, c’est bien un choix entre quelqu'un qui s'est battu toute sa vie pour les gens, et quelqu'un qui ne se soucie que de lui-même ». Le brillant et jeune Obama a parfois aussi eu de la peine dans un débat.

“Le débat n’a rien révélé, il a juste grossi les traits.”

Mais peut-être que l’irrespect va faire horreur aux indépendants, aux centrises. Peut-être qu’un réflexe moral va s’imposer - je mesure tout ce qu’un tel sentiment peut sembler optimiste et naïf - mais je veux croire que tout n’est pas perdu. Je ne parle pas des partisans, irréductibles, qui aiment leur matamore, mais ceux qui hésitent, ceux qui, précisément, sont horrifiés par tant d’irrespect, ceux qui voudraient appartenir au cercle de la raison, qui voudraient que ce cercle existe et s’agrandisse, mais qui craignent de ne pas être assez nombreux en novembre prochain. L’élection place les Américains devant un choix étrange, difficile, imposé par les circonstances et par les compétiteurs eux-mêmes, trop imbus pour s’effacer à temps, mais le choix est tel, et il faut désormais se concentrer sur l’enjeu.

Le débat n’a rien révélé. Il a juste grossi les traits. Un président qui a des absences et un homme qui est trop présent. Un vieil homme, faible, bon président, et un homme fort, méchant perdant.

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