La Tour défiée
Des cercueils déposés au pied de la Tour Eiffel, comme l’annonce de l’hécatombe la plus probable, et le deuil promis à ceux qui osent défier le tsar.
Il y a tout cela dans le geste que jouent ces ombres affairées déchargeant des cercueils aux couleurs françaises dans un Paris qui dort encore. Un défi à la France, à son président, aux soutiens de l’Ukraine. Et devant cette Tour Eiffel qui célèbre l’audace et la vie, on découvre le choix de ceux qui jouent avec la mort. Incroyable mise en abîme de l’époque, terrifiante, symbolique, et triste aussi.
Les envoyés de Moscou se doutent bien qu’ils ne font pas peur aux futurs soldats qui seraient envoyés en Ukraine, ni que cela va faire changer d’avis le gouvernement, l’actuel s’entend. Et les quelques euros qu’ils ont reçus pour accomplir leur forfait, sous l’œil obligé des caméras de surveillance, montrent bien que l’opération tient du bricolage. Et que l’essentiel n’est pas là, dans la réussite de la dépose, mais bien dans le message qui va être diffusé pendant des heures sur toutes les chaînes : il est risqué de contrer Poutine dans ses plans d’invasion. Et le projet de plusieurs pays européens dont la France d’envoyer des formateurs et des instructeurs sur le territoire ukrainien l’agace, et l’inquiète.
Pour le régime de Moscou, il s’agit d’alimenter les polémiques, de nourrir les divisions, d’apporter des arguments à tous ceux qui craignent l’escalade, au premier rang desquels il faut compter les extrêmes, aussi bien de droite que de gauche. Une inversion curieuse des causes puisque l’escalade a débuté par une invasion et qu’elle est alimentée par le bombardement continu de l’Ukraine. La logique pernicieuse d’une fin d’escalade voudrait que l’on abandonnât l’Ukraine et que nous en tenions là, dans un accord munichois qui ne dirait pas son nom, car il est très moche, et trop annonciateur de lendemains qui déchantent.
“La guerre hybride ne se développe pas que sur internet, à distance.”
Si l’on vous menace d’explosion nucléaire, comme le fait Poutine chaque fois qu’il est contrarié, il y a de quoi s’inquiéter bien sûr. Mais avant l’explosion, c’est la menace qu’il faut estimer. Pourquoi Poutine aurait-il besoin de la bombe pour assujettir les Ukrainiens ? Ou alors, craint-il que la « deuxième armée au monde » n’y parvienne pas ?
La guerre hybride ne se développe pas que sur internet, à distance. Comme s’il y avait besoin de graver dans la réalité, dans le dur, les éléments propres à nourrir la désunion. Mains rouges taguées sur le Mémorial de la Shoah. Étoiles jaunes peintes sur les murs de Paris. Un Russe arrêté près de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle assemblant des explosifs.
La guerre, c’est dans la rue aussi, chez nous. Moscou a lancé une vague d’attentats au Royaume-Uni, en Allemagne, en Pologne. Souvent des incendies monstres dans des entreprises engagées dans l’effort de guerre en faveur de l’Ukraine. Dans la Baltique, ils ont brouillé les signaux GPS. Les Européens ne se considèrent pas en guerre avec la Russie, mais celle-ci en juge autrement. Ce n’est pas la guerre, mais cela y ressemble furieusement.
De tels agissements peuvent difficilement se déployer sur la Place Rouge. Et les tenants de l’ordre le souligneront pour arguer de la supériorité d’un régime capable d’assurer l’ordre, mais c’est le privilège des sociétés ouvertes, libres, de permettre que l’on puisse faire une mauvaise action au milieu de la nuit sans risquer l’exil mortel dans une prison du Grand Nord, où un Navalny téméraire mais courageux a suivi et précédé les contestataires de l’empire.