Pologne, l’absolution heureuse
Ubu n’est plus, et la Pologne à nouveau quelque part. En Europe, pleinement, heureusement, revenue de ses dérives, pardonnée, absoute même de ses péchés, ce qui lui ouvre la porte aux milliards européens et la sort de l’infamante liste des démocraties illibérales.
La Commission européenne lève les sanctions qui la frappaient et la réintègre dans la grande famille. C’est que le pays a voté pour l’alternance, changé de gouvernement, misé sur une coalition de partis raisonnables, tous désireux de rétablir l’ordre constitutionnel. La Commission européenne en a pris note. Il n’y a pas que des mauvaises nouvelles sur le continent.
La décision de la Commission n’est ni formelle ni anecdotique. Elle vient récompenser le difficile et patient travail du premier ministre Donald Tusk de remettre le pays sur le droit chemin, de réparer ce que les populistes ont abîmé, de rétablir la liberté des médias publics, l’indépendance de la justice, de lutter contre la corruption qui a gangréné le pays sous l’ère de l’ultranationaliste PiS, le faussement nommé Parti Droit et Justice.
Il était temps. La Pologne s’affirme comme un poids lourd de l’Union européenne, elle est le fer de lance incontournable contre les intentions mauvaises de la Russie. Elle qui jouait les Cassandre, avait vu juste, le reconnait-on aujourd’hui. Et les pays baltes se recroquevillent volontiers autour d’elle alors qu’elle s’apprête à dédier 4% de son PIB aux dépenses militaires, ce qui en fera l’une des armées les plus puissantes en Europe. Un signe qui ne trompe pas : Poutine l’a désignée comme une prochaine cible. Il rêve de la plier à nouveau sous le joug. Les Polonais le redoutent. Ils se préparent. Clairvoyants dès la chute du Mur, ils n’ont pas tergiversé pour rejoindre l’OTAN.
La Pologne se révèle une alliée précieuse dans le soutien aux Ukrainiens, offrant son territoire à l’acheminement des armes et des munitions, accueillant 2 millions de réfugiés.
L’Est n’était pas sur leur radar. Il ne comptait pas. On les sent agacés par cette inclination nouvelle.
On parle trop peu de cet axe oriental de l’Europe qui gagne en poids et en influence. On écoute plus naturellement la France et l’Allemagne, on commente attentivement leur parole, leurs velléités et leurs envies, leurs haut faits et leurs bassesses. Ces deux-là feraient la pluie et le beau temps, croit-on, ils ont construit l’Europe, ils sauraient donc quoi faire. Ce n’est plus tout à fait le cas. La guerre en Ukraine les a longtemps laissés perplexes. Ils ont louvoyé, ils ont pris du temps à comprendre, longtemps ils n’ont pas voulu comprendre. L’Est n’était pas sur leur radar. Il ne comptait pas. On les sent agacés par cette inclination nouvelle.
La Pologne est géographiquement à l’Est de Paris et de Berlin, mais elle est centrale en Europe. Ne parlait-on pas autrefois de Mitteleuropa dont Milan Kundera disait qu’elle est une culture ou un destin ? La boussole indique toujours le Nord. Mais se soucie-t-on des autres points cardinaux ? Nous avons hérité de l’Est et de l’Ouest, comme le moyen le plus simple de décrire le monde d’après-guerre. Le rideau de fer était une borne sévère et indélébile. Nous avons tant de peine à le relever. Il serait temps de dessiner la nouvelle carte de l’Europe.
À la fin du 16e siècle, c’est à Paris que les nobles polonais étaient venus chercher leur nouveau roi, élu par la Diète, en la personne du futur Henri III, conversant naturellement en latin à la cour de France. La Pologne était alors bien de ce monde.
Les vieux réflexes résistent. On entend encore trop souvent le vocable « Europe de l’Est » comme pour souligner le caractère hors sol de cette partie de l’Europe, dont la référence ultime serait encore et toujours le Mur. J’ai entendu un journaliste expliquer que la Pologne était un rempart entre la Russie et l’Europe, comme si la Pologne était une pièce rapportée, comme si elle n’était pas vraiment dans l’Union, mais à sa frontière, mouvante, friable, là-bas, si loin, donc échangeable, comme naguère.
Il est dangereux de mal nommer les choses.