L’avenir n’est jamais certain

C’est une bonne nouvelle. Rare et peu commentée encore, tant le terrorisme, l’horreur et la guerre recouvrent le monde d’une clameur sourde. Et surprenante aussi, car les sondages annonçaient une nouvelle victoire du parti nationaliste ultra-conservateur Droit et Justice (PiS). Dimanche, les Polonais ont donné la majorité à une coalition d’opposition conduite par l’ancien dirigeant européen Donald Tusk. Une opposition clairement pro-européenne, progressiste, décidée à rétablir le droit à l’avortement et l’indépendance de la justice. La Pologne, c’est-à-dire quelque part. En Europe.

Sous la férule de PiS, la Pologne est devenue une démocratie illibérale par la volonté d’un parti autocrate et d’un leader sournois, Jarosław Kaczyński. La guerre en Ukraine avait fait oublier un peu les dérives du régime. En accueillant deux millions d’Ukrainiens, en militant pour un soutien sans faille à leurs voisins agressés, en incitant les Européens à s’engager vite et fort dans la politique des sanctions contre Moscou, en ouvrant sans restriction son territoire aux opérations de transit des armes vers l’Ukraine, la Pologne avait reconquis quelques sympathies.

Il n’en demeurait pas moins que le parti au pouvoir persévérait dans le démantèlement de l’état de droit. Les médias publics totalement à la solde du parti diffusaient la propagande de PiS, s’ingéniant à présenter Donald Tusk en ennemi du peuple et traître à la nation. La distribution d’allocations de toutes sortes devait aussi conforter les bénéficiaires à bien choisir leur camp.

Une certaine usure du pouvoir, les innombrables scandales de corruption, la déréliction morale d’une Église cupide, compromise par ses accointances avec le parti au pouvoir, la question de l’avortement, le vote des femmes, ont joué dans ce renversement électoral. Il révèle de manière spectaculaire qu’il existe bien une autre Pologne, jeune, ouverte, européenne, féministe, et bien décidée à peser sur l’avenir de leur pays.

Le grand pays doit pouvoir prendre la place qui est la sienne. Il ne le pouvait pas tant qu’une équipe de dirigeants autoritaires et prévaricateurs dupaient les gens et se payaient de prébendes.

Une douce euphorie s’est emparée des Polonais depuis l’autre dimanche. Comme un souffle nouveau, la perspective de revenir dans l’Europe des valeurs, et de pouvoir jouer un rôle à leur mesure. Souvent dédaignée par le couple franco-allemand soucieux de conduire seuls les destinées de l’Europe, la Pologne fait partie de cet Est qui compte désormais. Elle a pesé dans le glissement du centre de l’Europe plus à l’Est et s’est vue reconnaître sa lucidité passée quand elle appelait à se méfier de Poutine.

Le grand pays doit pouvoir prendre la place qui est la sienne. Il ne le pouvait pas tant qu’une équipe de dirigeants autoritaires et prévaricateurs dupaient les gens et se payaient de prébendes.

La coalition formée par Plate-forme civique, les chrétiens-démocrates de Troisième Voie et la Gauche ont désormais la majorité au Parlement. Ils ne gouvernent pas encore pour autant. Le parti PiS est saisi de fébrilité trumpienne, étudiant comment il pourrait garder le pouvoir encore un moment. Il pourrait arguer qu’il a recueilli le plus de voix même s’il est incapable de réunir une majorité. Quelques jours avant le vote, des généraux avaient démissionné soudainement, goûtant peu les échanges ambigus entendus dans les couloirs de l’État de la part de ceux qui envisageaient le pire en cas de défaite, et qui se seraient dits prêts à tout.

Quelles que soient les tergiversations et les combines auxquelles le parti PiS va nécessairement s’adonner, le vote est déjà une victoire en soi, et personne ne pourra effacer l’expression vive du changement. Un vote qui est une formidable espérance pour la démocratie.

Une bonne nouvelle, disais-je. Le pire n’est jamais certain.

Précédent
Précédent

“Oui, mais …”, l’hésitation coupable

Suivant
Suivant

M le Modi