M le Modi

On l’aime, on le courtise, on l’invite, il est reçu, ici et là, dans les capitales du monde et les palais présidentiels. On l’accueille chaleureusement, on sait que chez lui, il se montre autoritaire, cynique parfois, nationaliste toujours. Mais en visite, c’est un homme délicieux, à l’entregent délicat. On l’aime car il a dit à Poutine que sa guerre n’était pas une bonne idée, et parce qu’il cultive une certaine distance avec la Chine. Les ennemis de nos ennemis sont nos amis.

Cette fois-ci c’est lui, Narendra Modi, qui a reçu. Les hôtes du G20 étaient à New Dehli le weekend passé. Le couronnement d’une ère qui a vu le pays doubler la Chine en nombre d’habitants, 1,4 milliard, poser une fusée sur la Lune, dépasser la France et la Grande-Bretagne au classement mondial du PIB. Poutine et Xi ont boudé. Xi le perfide, qui a profité de la réédition de la carte officielle du pays pour rogner virtuellement des bouts de territoire chez ses voisins, dont l’Inde. Et Poutine le paria, tout occupé à trouver des munitions en Corée du Nord. Mais leur défection ne change rien à l’affaire. Par hasard, c’est-à-dire par le jeu du tournus naturel de la présidence du G20, M a été président du monde, le temps d’un week-end.

Il y a longtemps que l’Inde se présente comme la plus grande démocratie du monde, allusion à peine voilée à son puissant voisin moins regardant. Elle y ajoute un nouveau récit que Modi s’ingénie à imprimer. L’Inde serait la vraie porte-parole du « Sud global », la seule, et elle serait une alternative pour tous ceux qui ont à se plaindre des Grands mais qui les sollicitent par nécessité. L’Inde n’a pas la capacité économique de les soutenir à bouts de bras, mais elle sait leur parler, les séduire, et leur faire miroiter un appui diplomatique sans payer le prix fort.

La nouvelle ambition s’accompagne d’un nouveau nom : le Bharat, vieille appellation issue du sanskrit, pure de la colonisation anglaise, et dont le nom évoque un empereur conquérant. C’est ainsi que le président indien souhaiterait que l’on désigne désormais son pays. Le carton d’invitation aux leaders du G20 y faisait référence.

Le « moment » de l’Inde n’est pas encore venu. Dans le film de Fritz Lang, à la fin, M le maudit est confondu.

Modi n’est pas vertueux pour autant. Il veut former une nation exclusivement hindoue. Des millions d’Indiens musulmans ou chrétiens sont ostracisés. Il s’est montré indifférent aux violences qui ont secoué l’État du Manipur, son parti nourrit depuis des décennies la xénophobie et incite au racisme. Modi maudit la différence.

La grande démocratie est une démocratie illibérale comme on dit aujourd’hui, quand elle est gâtée par le nationalisme, dévoyée par les atteintes aux libertés civiles, pervertie par la violence envers les minorités, et sourde aux injustices. De passage récemment en Suisse, l’écrivaine Arundhati Roy allait plus loin : " Ce qui se passe en Inde, disait-elle, c'est que la nation, le gouvernement, toutes les institutions, le parti au pouvoir sont une seule et même chose, et ce n'est pas ce que l'on attend d'une démocratie".

Le « moment » de l’Inde n’est pas encore venu. Dans le film de Fritz Lang, à la fin, M le maudit est confondu.

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