Le Diable et le bon Dieu
Il passe pour le Diable. Il s’en amuse d’ailleurs, n’hésitant jamais à nourrir la caricature, à forcer le trait, à tenter la grimace ultime, car il sait que ses partisans en raffolent. Mais l’ange déchu ose un nouveau rôle. Dieu aurait envoyé Trump sur terre pour sauver le pays, révèle-t-il, gravement, dans un clip de campagne.
Ce Jésus qui revient parmi les siens, fait le bonheur des évangéliques américains, pas dupes, mais heureux du miracle. Et si les Etats-Unis doivent être gouvernés par Dieu en personne, le meilleur est à venir. Le paradis sur terre, tout de suite, plus tôt que prévu. Les empereurs romains aussi dénichaient des généalogies qui les autorisaient à se proclamer les descendants d’un dieu ou d’une déesse.
Le Diable est Dieu. Une étonnante inversion des valeurs. Une de plus. Trump n’a pas perdu l’élection de 2020, il n’a pas fraudé le fisc, il n’a pas essayé de renverses les résultats de l’élection. Il n’a jamais tenté d’en soudoyer les responsables. Il n’a jamais incité ses partisans à prendre d’assaut le Capitole. Est-ce vrai ? La vérité n’a aucune importance pour lui. La foi plutôt que les faits.
La révélation faite à Trump prête à rigoler, et nous ne nous en privons pas. Mais l’affaire est autrement sérieuse. Le retour à la Maison-Blanche du Messie coiffé ouvrirait une ère d’incertitude qui pourrait affecter durablement la géopolitique mondiale. Quelques électeurs ici ou là, dans un État hésitant, vont élire un homme dont une grande partie de la planète va essuyer les caprices et les foucades.
Les Européens tremblent. Ils ont fait l’expérience de Trump 1er. Ils connaissent le personnage, sa brutalité, ses dingueries. Il voudrait quitter l’OTAN. Il est volontiers ami avec Poutine, il fait copain avec Kim Jong-un. Il pourrait couper l’aide à l’Ukraine, et laisser l’Europe se débrouiller toute seule. Il hésiterait à s’engager si la Chine attaquait Taïwan. C’est moins la perspective d’une catastrophe annoncée qui fait peur que le début d’une période indécise où le trublion ferait souffler le chaud et le froid, dirait puis se dédirait, maltraiterait ses alliés. Angela Merkel partie, Trump a déjà trouvé un nouveau souffre-douleur en la personne d’Emmanuel Macron, l’imitant grossièrement, le ridiculisant. La France est une alliée, et alors ?
“Dictateur un jour, dictateur toujours”
C’est cette fureur qu’il entretient dans les salles de tribunal et sur les estrades de campagne qui séduit une Amérique déboussolée, sensible aux fake news, prête à jouer l’aventure. Le bon bilan économique de Biden n’imprime pas. L’élection se joue ailleurs, du côté de la rage et des ressentis. Beaucoup se décideront pour le moins détestable.
Fort de sa première expérience présidentielle où il a dû malgré tout composer avec l’administration et les états-majors, Trump annonce vouloir cette fois-ci frapper fort tout de suite. Faire ce qu’il veut, braver les interdits, stupéfier le monde. Il annonce qu’il sera un dictateur le premier jour. On peut craindre les initiatives les plus délirantes. Dictateur un jour, dictateur toujours.
Trump commencera par se sauver lui-même. Il veut éteindre les procédures judiciaires qui le concernent. Il menace juges et adversaires de représailles. Il ne se présente pas pour sauver l’Amérique, il revient pour une revanche personnelle.
Ce dieu-là est un dieu vengeur.