Ukraine, le temps suspendu

On ne sait pas exactement ce qui se passe là-bas, sur le terrain. Les cartes aériennes dessinent un front immobile. Les reporters nous rapportent des images et des témoignages précieux mais qui ne peuvent pas nous donner la vision générale du conflit. Le front figé à l’Est induit l’idée qu’il ne se passe plus rien de décisif, et témoignerait, osent certains, de la faiblesse insigne des Ukrainiens. De l’arrêt de l’offensive à la reculade, et à la défaite, il n’y a qu’un pas que trop d’observateurs franchissent allègrement, soudain frémissants, après avoir été furieusement exaltés, ajoutant leur pierre au sentiment de déclin de l’Occident, tendance actuelle, et que les usines à trolls de Saint-Pétersbourg et de Moscou essaiment à tout va.

Étrange temps suspendu qui laisse la place à toutes les conjectures puisque la guerre n’offre désormais que peu d’épisodes grandioses. Temps du commentaire, temps bavard. Peu risqué, l’une ou l’autre hypothèse finira bien par se vérifier.

Il faut donc revenir sur la bonne nouvelle venue de Bruxelles, lâchée avec un art consommé du faux suspense. Le roué Viktor Orban allait-il craquer et oser voter en faveur d’une nouvelle aide à l’Ukraine, lui qui cultive une amitié ambiguë avec Poutine ? Eh bien, il ne s’est pas opposé, libérant ainsi 50 milliards d’euros pour les quatre ans à venir. On oublie souvent que l’Union européenne est aussi un enchevêtrement complexe d’intérêts qui permet, in fine, de nouer le compromis, voire de le forcer.

C’est une nouvelle plus importante qu’elle ne paraît. Le budget de l’État ukrainien dépend pour une grande part de l’aide étrangère, et sans elle, l’Ukraine ne pourrait plus assurer les services publics, payer ses fonctionnaires, ses enseignants, ses médecins, les retraites. Elle ferait faillite et serait en mauvaise posture.  

Jean Quatremer, le correspondant à Bruxelles de Libération tenait il y a quelques jours au Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine un plaidoyer rafraîchissant sur cette Europe qui avait su créer un fabuleux espace de paix depuis 70 ans, choisissant d’ouvrir avec l’Ukraine des négociations d’adhésion, perspective impensable il y a peu encore. Jean Quatremer se réjouissait de cette Europe diligente. Il relevait aussi l’incroyable revers de Poutine qui jouxte plus que jamais les frontières de l’OTAN, avec l’adhésion de la Finlande et de la Suède. Juste rappel.

La décision attendue du Congrès américain

Mais on sait qu’il en faudrait plus, beaucoup plus pour que l’Ukraine gagne la guerre. « La seule façon de préserver la stabilité macroéconomique est le soutien des États-Unis », dit Serhiy Marchenko, le ministre des Finances du pays. Et des livraisons d’armes et de munitions. La décision cruciale qui est attendue, c’est celle du Congrès américain : 60 milliards de dollars, aujourd’hui bloqués par les Républicains qu’un Trump, pas encore président, tient sous sa coupe. Il court-circuite tout compromis, veille à ne pas laisser Biden engranger un succès.

Mais Trump se concentre désormais sur les ennemis intérieurs. En Iowa, il a bien noté que les indépendants votaient volontiers pour Niki Haley, et donc contre lui, et qui laisse à penser que le centre pourrait voter plutôt Biden en novembre. Trump en a conçu une rage terrible. Et puis il y a cette pop star planétaire aux millions de fans et de followers qui pourrait appeler à voter Biden. Taylor Swift est désormais le plus grand souci de Trump. Il en oublie un peu l’Ukraine, et c’est tant mieux.

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