Le dieu absent

Il avait dit qu’il serait Jupiter, observant de haut l’agitation des hommes, et qu’il se poserait là comme une instance morale suprême, plus à même de juger nos faits d’arme, et nos péchés. Depuis, il ne cesse de descendre sur terre et d’apparaître partout où le vent de l’actualité le pousse. Mais dimanche, le président n’était pas là. Les Français, oui.

Jupiter soudain à nouveau céleste, scotché à son trône, il est probable qu’Emmanuel Macron a dû regretter de n’avoir pas osé rejoindre la foule en voyant que le public était bien au rendez-vous. Une apparition aurait provoqué un effet waouh, comme Mitterrand su le générer en participant à la manifestation contre l’antisémitisme, en 1990, après les profanations du cimetière de Carpentras.

La marche fut réussie, et l’absence du président n’y a rien changé. Mais elle interroge, et signifie. Le président a eu peur. Peur de déplaire à ceux qui ne voulaient pas voir dans la marche la seule expression de la lutte contre l’antisémitisme, mais une forme de soutien inconditionnel à Israël. Peur de la polémique, peur de déplaire aux quartiers, peur d’un rassemblement peu rassembleur. La peur, c’est tout ce que les organisateurs voulaient combattre, dénoncer, en faisant nombre. Il est des fois où le dieu devrait descendre sur terre, parmi les hommes.

La lettre ouverte publiée le jour même dans le journal le Parisien pour soutenir la marche est parue comme la peur ultime de ne pas être compris. Habiter l’Élysée ne vous exempte pas de tout. En s’abstenant, Emmanuel Macron ajoute à la confusion. Celle que Jean-Luc Mélenchon a su nourrir, en mélangeant antisémitisme et soutien à Israël pour des raisons qui nous échappent, sauf à considérer qu’elles sont électoralistes, mais cela fait mal d’y penser. La défense des valeurs fondamentales ne souffre d’aucun calcul politique.

Le dimanche 11 janvier 2015, ils étaient des millions dans la rue. La marche pour la République après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher n’avait souffert d’aucune polémique. Le président François Hollande était présent. Des dizaines de chefs d’État avaient fait le déplacement.

“Un rendez-vous manqué, et une faute politique”

Le passé, déjà. Tout a changé. Le 7 octobre, rien de tout cela. L’attentat n’est pas perçu dans la même intensité alors qu’une quarantaine de Français ont été tués. La marche enfin organisée, elle suscite aussitôt la polémique. Pas comme cela, pas ici, pas avec elle, pas avec eux. Pas au même endroit. Les républicains, pas les autres. Les frontières ne tombent pas. La gauche qui devait être en pointe se tortille. Mélenchon torpille.

Serge Klarsfeld, la plus haute autorité morale, l’homme qui a pourchassé les nazis avec sa femme Beate dit qu’il n’y a pas d’exclusion à décréter lorsqu’il s’agit de combattre l’antisémitisme.

Un rendez-vous manqué, et une faute politique. Macron doit en avoir pris conscience, car il ne cesse d’y revenir chaque jour, distillant à chaque fois une explication de plus. De passage en Suisse, il dit que son « rôle n’est pas de marcher, mais de travailler à la libération de nos otages et de continuer à préserver l’unité de notre pays. » Pourquoi lutter contre l’antisémitisme mettrait-il en danger l’unité du pays ? Qui ne veut pas manifester trouvera toujours une mauvaise raison. Macron n’a pas voulu marcher, mais il parle, beaucoup. Le dieu n’a jamais tort.

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