Le génie de la bouteille
Il fut un homme d’affaires brillant. Puis, une star de la télévision. Enfin, un héros victime de l’injustice des hommes. Et toujours, un génie. Tel est le récit. Pour 2024, Donald Trump s’est choisi un nouveau costume, plus ample, plus audacieux encore. Plus étonnant aussi. Il est Al Capone, le mafieux de Brooklyn épinglé pour avoir fraudé le fisc. Ce n’est pas moi qui le dit, animé par la seule méchanceté de qui ne partagerait pas ses idées, dénigrant trop grossièrement le candidat qui dérange. Non, il est Al Capone, il le revendique, il le clame, il le cite comme la figure la plus accomplie de la réussite à l’américaine.
Le New York Times publie un essai brillant sur l’étonnante revendication et l’appétence du candidat à la présidentielle pour le bandit fameux de l’autre siècle. C’est qu’Al Capone, c’était il y a très longtemps, et ce que les Américains en retiennent, c’est le fraudeur du fisc, donc le malin admirable, le self made man qui a réussi dans les « affaires ». Les quelques années de prison qu’il a endurées ne comptent plus, ni ses activités dans le crime organisé. Il ne reste que la légende, celle des polars où policiers et voyous font montre d’autant d’astuce et séduisent tout autant. Le commanditaire d’assassinats est un hors-la-loi téméraire qui défie les élites, un « dur à cuire », dit Trump. Il a tout osé.
Les bas-fonds fascinent car leurs héros transgressent les limites. Les récits enjolivent. Le Joker amuse. Mack the Knife, créé par Bertold Brecht, envoûte. Scarface séduit. Ils étaient tous redoutables, ils sont désormais charmants. Le crime divertit. Le temps les as blanchis en quelque sorte, les a enrobés de romantisme. C’était mieux autrefois.
“Al Capone président. Le méchant pouvant faire le bien de l’Amérique, le gentil juge abîmer la démocratie. Voilà qui témoigne d’une incroyable inversion des valeurs”.
Il y a la légende dorée, Hollywood, l’Opéra de quat’sous, et puis la réalité, pas l’alternative, la vraie, le monde d’aujourd’hui. Trump, poursuivi pour fraude fiscale, inculpé des dizaines de fois, qui se présente en victime du système, comme Al Capone. Leurs sorts seraient comparables. Le New York Times, lui, note les discours du candidat où surgissent souvent les mots « loyauté », « petit service ». Le vocabulaire de la pègre, il connaît. Il y est à l’aise.
Al Capone président. Le méchant pouvant faire le bien de l’Amérique, le gentil juge abîmer la démocratie. Voilà qui témoigne d’une incroyable inversion des valeurs. Le New York Times note : « Comme le montre le cas d’Al Capone, le criminel condamné peut tout autant être une icône américaine que le cow-boy ou le pionnier de la conquête de l’Ouest ».
Trump est fier de sa trouvaille de comparaison. Macky est de retour en ville. « Tu sais que ce requin mord avec ses dents, chérie ? ». Pourquoi ne pas le prendre au mot ? Et juger ses actes. Et le condamner. Le génie des affaires dont les récentes enquêtes des procureurs ont montré qu’il n’était pas si brillant, n’est que le génie de la bouteille, ressurgi, délivré par ignorance et maladresse. Et le malheur va se répandre sur le monde.
J’exagère un peu, bien sûr.