Paris, déjà en or
En attendant la joie des athlètes et la fureur des stades, le peuple pleure, renâcle, et rouspète. Rien d’étonnant au pays du gaulois réfractaire. Mais là, l’événement planétaire est une opportunité trop belle pour que les Français le zappe et l’épargne, et les JO deviennent le réceptacle de toutes les colères et de toutes les frustrations, le précipité de ce qui fait la France d’aujourd’hui. La médaille d’or du pessimisme, Paris l’a déjà gagnée.
Les récriminations s’entendent. Les promesses tonitruantes du dossier de candidature ne sont pas toutes tenues. Surtout, on ne leur a pas demandé leur avis aux Parisiens. Évidemment, puisqu’ailleurs, les peuples consultés ont presque toujours dit non. Il y a longtemps que les raisonnables ont compris que l’événement n’était plus à dimension humaine, et un peu cher.
Et les esprits chagrins se déchaînent. La ville ne sera pas prête, les stades pas finis, annoncent-ils. On prédit la catastrophe dans les transports, une eau de la Seine encore polluée, interdisant les épreuves de natation en eau libre, on fustige la témérité d’organiser la cérémonie d’ouverture sur le fleuve, on dénonce un déficit inévitable, la réquisition des logements étudiants, les failles de sécurité, le prix du logement et des billets de transport, on craint les grèves, la billetterie piratée et des attentats monstrueux.
On conteste le choix de la chanteuse franco-malienne Aya Nakamura pressentie pour chanter Edith Piaf à la cérémonie d’ouverture. On conspue l’affiche officielle qui a gommé ici ou là un drapeau français, ou la croix sur le dôme des Invalides.
Pas de ferveur donc, mais de la polémique, à satiété. En soi, rien de nouveau, mais ce qui frappe ici, c’est l’intensité des critiques. Le climat politique que les extrêmes se plaisent à hystériser pariant sur le chaos pour espérer gagner le pouvoir, joue un rôle. Les usines à troll russes soufflent sur les braises. On sait la France malheureuse et ronchonne, on ne sait pas toujours au juste pourquoi, sauf à l’attribuer à la complexion de l’âme, ce qui est une manière de transmuter en essence rare ce qui relève du mauvais caractère.
“La France n’a jamais été aussi heureuse que lorsqu’elle partait conquérir le monde. Mais le temps de l’empire est passé, il en reste les ors, la nostalgie, et la dette.”
Le pessimisme est une posture, broyer du noir tout un art. La France y excelle. Le mal-être, ça se cultive, ça se crie. C’est une autre manière d’attirer l’attention. Quand le Beau et le Bien ne suffisent plus, il y a toujours le Malheur qui fascine et tient lieu de viatique. « Prendre les choses au tragique, réellement, irrémédiablement, est l’effet le plus difficile qui puisse être demandé aux hommes », a dit autrefois l’écrivain Philippe Muray. La France y parvient très bien. C’est par choix plus que par nécessité que les Français choisissent de se plaindre et de pleurer leur sort.
La France n’a jamais été aussi heureuse que lorsqu’elle partait conquérir le monde. Mais le temps de l’empire est passé, il en reste les ors, la nostalgie, et la dette. La France ne fait plus la loi en Europe. Son roi agace. Paris n’est plus le centre. Aujourd’hui, elle navigue entre vices et vertus, petitesse et grandeur.
Mais Paris veut briller à nouveau. Les fastes et les couleurs, elle sait en jouer en magicienne de l’art et du spectacle, et elle n’y dérogera pas en convoquant le monde du sport au bord de la Seine. C’est là qu’elle excelle. L’idée de faire défiler les sportifs sur des barges le long de la Seine, bardée de monuments et de Notre Dame reconstruite, est tout simplement géniale, ambitieuse, unique.
Paris n’est pas encore une fête, soit. Après, ils seront heureux sans doute, fiers de la réussite de l’exercice. Ils exhiberont leurs médailles, ils pousseront des cocoricos, plus vite, plus haut et plus fort, « citius, altius, fortius ».
Ils seront insupportables. On les préfère encore grognons.