Mourir pour Dantzig, Kiev et Taïwan

« Moi, en tout cas, je ne mourrais pas pour Taïwan ! » Cri du cœur d’une éditorialiste française, il y a quelques jours, à qui l’on faisait remarquer que les propos du président Macron à son retour de Chine n’étaient pas appropriés. Le sort de Taïwan ne la concernait pas, l’île était très loin de l’Europe, trop pour que l’on s’en souciât vraiment.

L’interjection doit beaucoup à un égoïsme bien compris, volontiers partagé par bien des Européens, et relève de la Realpolitik la plus pure. A suivre l’éditorialiste, la défense de l’indépendance relèverait de la proximité géographique, et non du principe universel des droits humains. Une loi de proximité pas toujours respectée si l’on songe aux tergiversations de l’Union européenne lorsqu’il s’est agi de porter secours à l’Ukraine voisine, assiégée.

Ce qui est troublant, c’est d’entendre la réserve exprimée au cœur même de la patrie des droits de l’homme. Emmanuel Macron mettant sur un même pied la Chine de Xi et l’Amérique de Joe, les reléguant à équidistance.

On se perd en conjectures sur les confidences du président. Aurait-il été séduit par les circonvolutions patelines du dictateur ? A-t-il été sensible à la munificence de l’accueil ? Le filtre des cérémonies n’était-il pas encore dissous lorsqu’il se confia aux journalistes dans l’avion qui le ramenait en France ? Un démocrate expliquant qu’il faut éviter de choisir entre un démocrate et un dictateur. Quelques heures plus tard, la Chine encerclait Taïwan.

L’Ukraine n’existerait plus sans l’engagement des Etats-Unis. Le moment est donc particulièrement mal choisi pour se distancer de l’Amérique, lui faire la leçon, s’en méfier.

On comprend bien que la France veuille jouer sa partition, exister diplomatiquement au milieu des Grands, disposer d’une liberté d’esprit et d’engagement. Mais ne pas prendre position, c’est encore prendre parti. La déclaration provoque la fureur des Américains. A juste titre. Certains ironisent sur une France pressée de les appeler à l’aide, fanfaronnant sur son besoin d’autonomie stratégique, mais incapable de la mettre en œuvre.

L’Ukraine n’existerait plus sans l’engagement des Etats-Unis. Le moment est donc particulièrement mal choisi pour se distancer de l’Amérique, lui faire la leçon, s’en méfier.

Les propos d’Emmanuel Macron alimentent la réflexion de ceux qui estiment aux Etats-Unis que les intérêts vitaux de l’Amérique ne sont pas concernés par ce qui se passe en Ukraine, qu’elle aurait tout intérêt à se concentrer sur l’Indo-Pacifique, et de laisser l’Europe gérer la question. Beaucoup craignent que les Etats-Unis doivent s’engager sur deux fronts en même temps, et qu’ils ne puissent disposer de ressources suffisantes pour les soutenir.

Mourir pour Dantzig comme on s’interrogeait autrefois, mourir pour Kiev, comme certains le redoutent aujourd’hui, mourir pour Taïwan peut-être demain, la question va se répéter dans ce monde fragilisé, où les empires montrent des appétits insatiables, multiplient les défis, et où la défense des droits fondamentaux aura un prix de plus en plus élevé.

La question de l’éditorialiste prend tout son sens. Quels sacrifices sommes-nous en effet prêts à consentir ?

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