L’âge d’or, vraiment ?
La promesse surgit au petit matin du 6 novembre à Mar-a-Lago. Dans son fief golfeux, Donald Trump qui a déjà tout promis, promet encore plus : un monde de luxe, de calme et de volupté, la richesse, l’âge d’or. J’ai aussitôt pensé au tableau d’Ingres, une assemblée de femmes et d’hommes jeunes et beaux, baignant dans une ambiance éthérée, un peu rêveurs, nus ». Mais, à bien regarder, ils ne semblent pas heureux, je dirais plutôt qu’ils ont l’air hébétés, absents, otages d’un peintre malicieux.
On connaît moins Trump poète. L’élu ce matin-là distribue les riches dividendes de la victoire, anticipant les effets éventuels d’une politique qui n’est pas encore en œuvre. Il ressent l’urgence : répondre aux oubliés de la croissance, au peuple en colère, aux pauvres, car c’est ainsi que Trump analyse immédiatement la victoire. La vie chère aurait plus pesé que la défense des droits des femmes. Les sondages devaient montrer plus tard que les tendances anti-woke, les sentiments machistes et les craintes d’une immigration non-contrôlée avaient joué un rôle tout aussi essentiel.
Kamala Harris n’a pas perdu. C’est Trump qui a gagné. Cela signifie qu’il n’y a pas beaucoup de sens à lister toutes les faiblesses supposées de la candidate démocrate, ou en tous cas que ce n’est pas là que l’on trouvera les raisons du raz-de-marée républicain. Si Harris l’avait emporté, ces faiblesses seraient autant de forces, par la magie du commentaire à chaud. Trump a gagné car il y a une majorité d’Américaines et d’Américains qui lui font confiance, et l’admirent.
« Parce que les anciens partis entendent les inquiétudes trop tard, dit la Neue Zürcher Zeitung, le populisme s'est imposé comme le phénomène national le plus important du début du XXIe siècle. C'est une petite révolution. Trump est le leader d’un monde libre qui menace d'être submergé par ses peurs ». Trump est partout. Trump est en Europe. Simplement, Trump est plus bruyant, plus talentueux, plus grossier.
Un avenir libre, débarrassé de toutes poursuites judiciaires.
Ce qui est remarquable, c’est que nous ne pouvons pas prévoir ce que sera la politique du nouveau président. Abandonnera-t-il Zelensky ou mettra-t-il au pas Poutine ? Va-t-il organiser dans tout le pays une chasse aux immigrés, opérant des descentes dans les cuisines des restaurants, dans les take away, ou dans les champs de Californie ? Videra-t-il les ministères de leurs fonctionnaires ? Va-t-il décréter des taxes contre la Chine au risque de perturber le marché des Tesla dont les Chinois sont friands, au détriment de son nouvel ami Elon Musk ? Voudra-t-il quitter l’OTAN ? Impossible de déduire des propos de campagne ce que sera l’ère Trump. Il n’a pas développé un programme, il a agité des idées, proféré des menaces, insulté ses adversaires, en particulier les juges et les procureurs dont les enquêtes lui déplaisent mais qui vont disparaître comme par enchantement.
Trump a remporté l’élection. Cela change-t-il le fait qu’il n’est pas un homme digne de la fonction ? Devons-nous considérer que nous avons eu tort de juger Kamala Harris plus apte à la fonction ? L’élection le rend légitime, pas innocent ni vertueux. Où et quand un candidat à la fonction suprême peut-il s’amuser que l’on puisse tirer sur les journalistes ou les menacer de viol sans que cela ne porte à conséquences ? En Amérique, aujourd’hui.
C’est peut-être ça l’âge d’or pour Trump. Un avenir libre, débarrassé de toutes poursuites judiciaires. Pour les Américains, un étrange jardin d’Eden où les Adam et Ève n’auraient pas encore croqué la pomme funeste.