Photo de groupe au château Mimi

La photo s’étire en largeur. C’est qu’ils sont nombreux les participants à la Communauté politique européenne, la CPE. Sur l’estrade, il y a les membres de l’Union européenne, les candidats, les non-candidats, et tous les autres, quémandeurs impatients, que l’on a invités en amis. Il y a la Suisse aussi. L’Europe quoi. Ils ont l’air heureux, mais ils ne se serrent pas les uns contre les autres comme nous le faisons instinctivement quand nous prenons une photo de groupe, et qu’il faut bien capter tout le monde. Là, au château Mimi, près de Chisinau en Moldavie, ils ont préféré le grand angle à l’intimité. Une manière d’afficher leur unité, tout en préservant le quant-à-soi.

La CPE est cette construction indécise que le président français a imaginée pour contenir les ardeurs des « orientaux » pressés de s’ancrer à l’espace européen. On y discute plein de choses, on papote, on ne décide de rien, on fait la photo. Elle est soit l’antichambre où il faut patienter avant d’être reçu de plein droit dans l’UE, soit le purgatoire, mais sans promesse de rédemption. Cela ne veut pas dire que la CPE ne sert à rien. Elle permet d’afficher à la face du monde le soutien indéfectible à l’Ukraine. Elle montre à voir l’Europe, la grande, la puissante, celle des valeurs communes, celle qui ose défier le dictateur russe. C’est déjà appréciable.

Le choix de se réunir en Moldavie n’est pas innocent. Le pays connaît une province sécessionniste, la Transnistrie, agitée par les Russes où ils ont déjà une base militaire. Le petit pays redoute le belliqueux voisin. Comme les pays baltes, la Géorgie, et d’autres. Mais la CPE n’offre ni sécurité ni promesse de prospérité. Zelensky, invité de droit à la rencontre de Mimi plaide justement : « Tous les pays européens qui ont une frontière avec la Russie et qui ne veulent pas que la Russie leur arrache une partie de leur territoire doivent être membres à part entière de l’OTAN et de l’Union européenne ».

Pour l’UE, le ciel peut attendre, l’adaptation au marché unique exigeant du temps et du travail. Et pour l’OTAN, c’est compliqué tant que la guerre est en cours.

Si la CPE n’est pas la solution rêvée, ni adéquate, elle ne révèle pas moins l’émergence de l’Est de l’Europe, et la prise en compte de leur influence. La guerre en Ukraine a servi d’électrochoc. La guerre est à nouveau possible en Europe, on ne vit plus innocent dans la douce Europe, tout occupée à son bien-être et au plaisir de jouir de la vie. Les missiles la frappent à nouveau.

Toujours à l’Est, un jour plus tôt, à Bratislava, en Slovaquie. Le président Macron entonne un nouveau chant. "D'aucuns vous disaient alors que vous perdiez des occasions de garder le silence. Je crois aussi que nous avons parfois perdu des occasions d'écouter", dit-il. Être à l’écoute, ne plus juger avec condescendance la voix de nos amis de l’Est, voilà une révolution dans la pensée géopolitique. Un acte de contrition que le président français a pris sur lui, au nom des Européens. Ceux de l’Ouest s’entend, ceux qui étaient du bon côté du Mur, et qui forts de leur liberté et de leur prospérité étaient heureux comme Dieu en France. Oubliant le sort des pays sous le joug soviétique, sacrifiés à Yalta. Le sort de l’Europe libre était à ce prix : abandonner nos frères et sœurs de l’Est. Nous nous en sommes contentés jusqu’en 1989.

L’aveu sonne tard, mais il a le mérite d’exister. Sur les terres orientales, Macron se devait parler la langue de l’Est, et ne pas faire preuve de mauvais goût en réitérant ses réserves sur d’éventuels nouveaux adhérents à l’Union européenne comme il le fit en 2019. Élargir au-delà des 27 acteurs actuels de la CE lui semblait alors nuire à l’efficacité de l’Union, il en faisait en tous cas un argument décisif pour fermer la porte au nez des candidats. Il accepte désormais l’idée d’accueillir des pays plus vite que prévu.

Le président Macron voudrait aller plus loin encore. Il plaide pour une défense européenne que les États voisins de la Russie ont bien de la peine à considérer sérieusement. L’OTAN reste à leurs yeux la meilleure garantie de sécurité à l’heure actuelle. Même si le retour possible de Trump à la présidence des Etats-Unis en novembre 2024 laisse planer une menace sur la volonté des Américains de soutenir indéfiniment l’Ukraine.

L’Est n’est plus à l’Est. L’Est est au centre. La géopolitique européenne a glissé comme une plaque tectonique venant heurter de plein fouet une concrétion dangereuse dont on avait douté de la force et de la malignité.

Précédent
Précédent

Lupa n’est pas Dieu

Suivant
Suivant

Le ciel ne peut pas attendre