Francophonie, avis de tempête

La France a organisé le Sommet de la Francophonie les 4 et 5 octobre dernier. Des enjeux politiques le traversent alors qu’une partie des pays africains ont pris leurs distances face à l’ex-puissance coloniale.

Catherine Morand, Paris

Le XIXe Sommet de la Francophonie qui vient de s’achever est organisé chaque deux ans par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) dans un pays membre. Cela faisait 33 ans qu’il n’avait pas été organisé par la France qui n’a pas lésiné sur les moyens pour donner une image fastueuse de cette francophonie pourtant en perte de vitesse. Le cadre fut d’abord celui du prestigieux château de Villers-Cotterêts, qui abrite désormais la Cité internationale de la langue française après avoir été restauré à la demande du président français Emmanuel Macron. Puis, le lendemain, c’est au Grand Palais à Paris, encore tout auréolé de l’esprit des Jeux Olympiques, que se sot réunis 19 chefs d’Etat - moins qu’attendus - et les délégations de quelque 88 Etats et gouvenements membres de l’OIF, associés ou ayant un statut d’observateurs.

Même si la Secrétaire générale de l’Organisation, la Rwandaise Louise Mushikiwabo, s’en défend et répète régulièrement que “l’OIF n’est ni la France ni la Françafrique”, la forte imbrication entre l’OIF et les intérêts de Paris affaiblit l’Organisation, suscitant une certaine méfiance qui rejaillit sur l’utilisation de la langue française. Dans plusieurs pays en délicatesse avec l’ex-métropole, le français a perdu son statut de langue officielle enseignée dans les écoles. C’était déjà le cas, entre autres, en Algérie et au Rwanda; le Niger, le Burkina Faso et le Mali semblent désormais vouloir leur emboîter le pas. En cette période où la France perd de son influence sur le continent africian - où se concentre 85% des francophones de la planète - la participation ou non des chefs d’Etat avait valeur de baromètre.

Le baromètre du nombre de présidents présents

Il s’agit tout d’abord du premier Sommet depuis la création de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) en 1970 à Niamey, où le président du Sénégal manque à l’appel. Les électeurs et électrices de Bassirou Diomaye Faye, auxquels il a promis d’instaurer des relations d’un type nouveau avec la France, auraient sans doute mal compris sa présence, dans ce cadre, à Paris. Il a donc préféré renoncer à une participation qui aurait pu être perçue comme une forme d’”allégeance”. Quelques piliers de la famille francophone, tels le Camerounais Paul Biya, le Congolais Sassou N’Guesso ou encore le Togolais Faure Gnassingbé, dont le pays a rejoint le Commowealth y a deux ans, ont également brillé par leur absence.

Le Mali, le Burkina Faso, le Niger, en totale rupture avec Paris, n’avaient, eux, pas été invités - et, selon le membre d’une délégation africaine présent au Sommet, “s’ils l’avaient été, ils ne seraient pas venus”. Depuis leurs coups d’Etat respectifs, les trois pays - désormais unis au sein d’une Alliance des Etats sahéliens (AES) - ont été “suspendus” par l’OIF. Ce qui n’a pas empêché sa Secrétaire générale la Rwandaise Louise Mushikiwabo de réitérer son souhait de voir revenir en son sein ces trois pays “historiques” de la Francophonie.

Des sanctions “à géométrie variable”

Est-ce pour encourager ces trois pays à réintégrer l’OIF ou pour remercier le nouvel homme fort de la Guinée de s’être montré moins virulent à l’égard de Paris que ses pairs sahéliens ? Le 24 septembre dernier, on apprenait en tout cas la réintégration de ce pays au sein de l’Organisation de la Francophonie, trois ans après sa suspension dans la foulée du coup d’Etat du colonel Mamadi Doumbouya, au moment où la Guinée est toujours suspendue par l’Union africaine. Une décision qui interroge alors que le colonel-putschiste prévoit de modifier la Constitution pour pouvoir se présenter aux prochaines élections présidentielles, qu’il a fait fermer des radios privées critiques à l’égard de son régime, et qu’on est sans nouvelles depuis plusieurs mois de personnalités de l’opposition.

Autres généraux-putschistes non sanctionnés et présents au Sommet de Villers-Cotterêts : le général gabonais Oligui Neguema, ainsi que le Tchadien Mahamat Idriss Déby, lequel a récemment légalisé son coup d’Etat par des élections très contestées. Ces suspensions et sanctions “à géométrie variable” sont au coeur des critiques émises à l’égard de l’OIF, qui, tout en prônant des “valeurs partagées” de démocratie, respect des droits de l’homme et bonne gouvernance, se voit régulièrement accusée de les piétiner au nom de la défense des intérêts politico-économiques de Paris. Et d’être en quelque sorte le bras diplomatique de la France, y compris lors de la nomination de la Secrétaire générale Louise Mushikiwabo, imposée par Emmanuel Macron, dans le souci d’améliorer des relations très tendues avec le Rwanda.

“Créer, innover et entreprendre en français”

Ces critiques récurrentes n’ont pas empêché de nouveaux pays de faire acte de candidature pour rejoindre l’Organisation. Tels le Chili et l’Angola, qui, selon la procédure, sont d’abord acceptés en tant qu’observateurs. Le Ghana est, lui, devenu membre à part entière de l’OIF. Entouré de pays francophones, il espère, en faisant la promotion de l’apprentissage et de l’usage du français, renforcer son intégration économique dans la sous-région. Promouvoir une “francophonie économique” est d’ailleurs devenu une des priorités pour l’OIF, qui table sur une communauté linguistique de quelque 321 millions de personnes, réparties sur les cinq continents, représentant 16% du PIB mondial et 20% de l’ensemble des échanges commerciaux. “Créer, innover et entreprendre en français” était d’ailleurs le thème de ce Sommet, avec l’ambition de promouvoir le français comme langue des affaires et de l’innovation et d’améliorer l’employabilité des jeunes.

Avec un budget annuel de quelque 67 millions d’euros pour tout l’espace francophone - dont 28 millions fournis par la France - l’OIF a-t-elle les moyens d’agir sur les crises qui touchent l’espace francophone et plus largement sur la scène internationale ? Dans son discours d’ouverture, Emmanuel Macron s’est longuement étendu sur la guerre en Ukraine et au Proche-Orient, sans toutefois mentionner expressément l’agression armée du Rwanda dans le Nord-Kivu. Ce qui eut le don d’ulcérer le président de la République démocratique du Congo Félix Tshisekedi qui a quitté précipitamment le Sommet, sans participer au huis clos des chefs d’Etat et de gouvernements. Une séance plénière au cours de laquelle plusieurs pays, parmi lesquels la Tunisie, ont demandé à la Francophonie de faire davantage entendre sa voix à Gaza et au Liban.

Le Liban a fait l’objet d’une Déclaration de solidarité de la part de l’Organisation, qui “exprime toute sa solidarité” avec ce pays, qualifié de “pilier de la Francophonie dans la région”, et salue l’annoce par la France d’organiser très prochainement “une conférence de soutien au Liban”. Paradoxe : le prochain sommet Afrique-France se tiendra en 2026 au Kenya, une première dans un pays anglophone. Et en 2026 également, c’est le Cambodge qui accueillera le Sommet de la Francophonie. Comme si France avait acté que de nouvelles opportunités se situaient désormais hors de ce pré-carré francophone qui lui mène la vie dure. 

Texte aussi paru dans Le Courrier.

La Suisse joue la carte francophone

Présente au 19e Sommet de la Francophonie, la Présidente de la Confédération Madame Viola Amherd a multiplié les échanges bilatéraux avec les autorités de plusieurs pays, parmi lesquels le Vietnam, le Ghana et la Côte d’Ivoire. “La Francophonie est une plateforme de dialogue importante en ces temps difficiles”, a-t-elle déclaré au Courrier, en se réjouissant que la Suisse soit appréciée pour ses actions humanitaires, son expertise en matière de promotion de la paix et d’accompagnement pour un retour à un ordre constitutionnel.

C’est ainsi que l’ancienne présidente de la Confédération Micheline Calmy-Rey, au titre d’envoyée spéciale de la Secrétaire générale de l’OIF à Madagascar, accompagne ce pays dans le processus électoral actuel, une mission démarrée en 2023 et qui s’achèvera en 2025. Avec quelque 4 millions de francs, la Suisse est le troisième contributeur de l’OIF, et joue ainsi sa partition au sein de la Francophonie. “La Suisse s’implique aussi en matière de coopération au développement, via la DDC, parce que c’est une des composantes dans ses relations avec les pays du Sud, qui sont majoritaires au sein de la Francophonie”, précise encore Jacques Lauer, chef de la Francophonie multilatérale au DFAE. La Suisse participe ainsi à un programme de formation d’enseignants et d’enseignantes en Afrique de l’Ouest, ainsi qu’au Tchad, dans le cadre du projet IFADEM-Tchad, en collaboration étroite avec la Conférence des Ministres de l’éducation des pays ayant le français en partage, la CONFEMEN, basée à Dakar.

La contribution de la Suisse à TV5 Monde menacée ?

Lors du Sommet de Villers-Cotterêts, la Suisse a été officiellement remerciée pour sa contribution à la chaîne francophone TV5 Monde, qui retransmet dans le monde entier des programmes en langue française fournis par les chaînes publiques françaises, belges, suisses, canadiennes, québécoises et de la principauté de Monaco. Mais ce soutien risque-t-il d’être prochainement retiré, comme le laisserait entendre le train de mesures d’économies annoncées le mois dernier par le Conseil fédéral qui envisage de supprimer l’offre de la SSR à l’étranger ? “Je pense que la chaîne de télévision TV5 Monde est un instrument important qu’on devrait soutenir dans le futur, estime Viola Amherd, mais je ne saurais dire ce que les discussions au Parlement, qui viennent de commencer, vont donner comme résultat”.

Catherine Morand

Précédent
Précédent

Où est l’espoir?

Suivant
Suivant

Ukraine, l’OTAN ou l’atome!