Genève, le rêve fou d’un Monaco-sur-Léman
Une contribution de Patrick Nussbaum,
ancien directeur de l’information de la radio RTS
Le Conseil d’Etat genevois, dans sa grande sagesse et aiguillonné par le disruptif Pierre Maudet, vient de lancer le projet d’un métro reliant la France à Genève, du pied du Jura au pied du Salève, soit environ 20 kilomètres et 160 000 passagers par jour. Objectif: «Face à l’accroissement rapide de sa population… assurer la qualité de vie et l’attractivité de la région», selon le communiqué du Conseil d’Etat.
Serions-nous en manque d’attractivité? Au contraire, Genève a accueilli 170 000 personnes résidentes supplémentaires depuis 2000 et 35 000 frontaliers supplémentaires depuis 2002. Un record, dont les Genevois commencent à sérieusement se plaindre.
La corrélation entre une croissance démographique exponentielle et la qualité de vie constitue apparemment une vérité sans nuances pour le Conseil d’Etat. Du côté des socialistes, pour autant que la mobilité soit douce, il faut aller de l’avant et densifier. Pour les Verts, l’idée de dépasser les frontières semble désormais inscrite dans leur ADN. Quant à droite, l’affluence d’une maind’oeuvre supplémentaire a toujours été plébiscitée.
Mues par cet incompressible élan prométhéen, nos autorités négligent de s’interroger sur les externalités de tels projets. Outre les coûts (plus de 4 milliards), quid du logement? Il faudra bien sûr encore densifier, bétonner et peut-être sacrifier de nouvelles zones à bâtir. La plage des Eaux-Vives ? Il faudra certainement réserver chèrement sa place à l’avenir… comme pour tous les loisirs, les crèches, etc. Toutes les infrastructures seront surchargées et leur adaptation coûtera cher. Très cher.
Entendons-nous bien, il n’est pas question ici de renoncer à la croissance et à la prospérité. Mais de poser la question d’une croissance davantage qualitative, autrement dit, de mettre davantage l’accent sur la qualité des biens et services produits plutôt que sur leur seule quantité. Le PIB à l’état brut ne peut plus servir de seule boussole.
Monaco-sur-Léman va générer également des coûts (humains, relationnels, écologiques, sociétaux, économiques) qui justifient, me semble-t-il, que l’on élargisse la focale pour déterminer en quoi et comment les habitants de Genève en seront les grands bénéficiaires.
Le «Grand Genève» va-t-il finir par devenir la «Petite France» ? Pourquoi pas, mais cela provoquerait un changement substantiel d’identité. Est-ce bien le souhait de ses habitants, pourtant adaptés à la multiculturalité, mais aussi soucieux de certains équilibres?
Certes, tous les pays, les villes et les régions ont besoin de brassage, d’immigration, d’échanges. Mais il appartient au gardien du temple politique d’en mesurer l’ampleur, le rythme et la forme… faute de quoi les cultures finissent par s’opposer – parfois frontalement – au lieu de se bonifier mutuellement.
Il ne suffit pas de creuser et faire circuler 16 000 personnes pour créer une cité radieuse. Bref, à l’inverse du tramway, il n’est pas encore acquis que ce métro se nomme Désir…
Patrick Nussbaum